CHRONIQUES VINEUSES - Le carnet de route d'Hervé Lalau, journaliste viticole - 11 décembre 2014

Lundi se tenait à Bruxelles une dégustation de vins arméniens organisée à l'instigation de l'Ambassade d'Arménie en Belgique*. C'était pour moi le premier contact avec les vins de ce petit pays du Caucase, dont les recherches archéologiques les plus récentes nous apprennent que c'est là qu'ont été trouvées les traces les plus anciennes de vinification (à peu près 6100 ans).

Entretemps, la patrie de Noé a connu pas mal de vicissitudes, de passage et d'invasions, pas toujours favorables au vin - la période ottomane, bien sûr, mais aussi la période soviétique, au cours de laquelle le pays était devenu un gros fournisseur de brandy du grand frère russe. Jusqu'aux années 1990, la viticulture locale fonctionnait majoritairement pour la production d'alcool.
Avec la fin du communisme, est venue la baisse des importations russes. L'Arménie se tourne donc vers d'autres marchés - mais le processus est assez lent.

Sur la foi de ce que j'ai dégusté, tous les produits ne se prêtent pas encore à la conquête du consommateur occidental moderne; si quelques rares cuvées présentées souffraient de tares évidentes (piqure acétique, oxydation précoce, déviations) le plus gros des vins n'avait pas d'autre défaut qu'un manque de définition - sucre résiduel mal fondu pour une bonne partie des blancs, déséquilibre entre nez et bouche pour pas mal de rouges, impression de chaleur, de verdeur des tannins, alcool envahissant, rudesse. Je ne suis pas contre une certaine dose de rusticité, mais trop n'en faut.

Il y a avait heureusement des exceptions.
Les Areni de "Takar", d'Ar Mas, de Maran (Cuvée Bagratouni) et de Zorah (cuvée Karasi), notamment, qui combinent des arômes de fruit mûr assez inhabituels (grenade, figue verte) et une belle fraîcheur - mention particulière pour la Karasi, très pur et d'une belle minéralité (serait-ce l'élevage en amphores?).

Ces exceptions démontrent qu'il y a une place pour l'Arménie sur l'échiquier mondial du vin; pas seulement en hommage pour son passé de précurseur, mais pour la touche originale apportée par ses multiples cépages autochtones, notamment l'Areni, par ses pratiques culturales et de vinification originales.

En effet, on a affaire à un vignoble de montagne (l'altitude moyenne du pays est de 1800m), où la vigne souffre à la fois de longs hivers très froids (au point qu'on l'enterre souvent en hiver) et de la chaleur de l'été. Les cépages locaux y sont les mieux adaptés, et c'est sans doute la chance de ce pays de les avoir conservés; le consommateur mondial est un peu saturé des grands cépages internationaux et est prêt à découvrir autre chose.
Cette "autre chose", l'Arménie peut la fournir - avec une autre originalité - qu'elle partage avec la Géorgie voisine: la vinification en amphores. A l'heure où des producteurs européens redécouvrent le vin orange, les Arméniens, eux, ne l'ont jamais vraiment délaissé.

Le défi, cependant, sera de polir ces joyaux, ce potentiel, pour mieux les faire briller.
Cela passe sans doute par une phase de sélection des meilleurs cépages à vin - tous ceux qui ont été utilisés pour les brandies et les vins mûtés ou pomegranates ne sont pas forcément les plus adaptés à des vins élégants; par une meilleure maîtrise de la matière première (inertage de la vendange, tables de tri...) et de l'outil - qu'on utilise des foudres, des barriques, des cuves inox, des cuves ciment ou des amphores, les règles de base de l'oenologie s'appliquent - propreté, contrôle des températures et des fermentations...

Moyennant quoi on pourrait reparler des vins arméniens dans un proche avenir.

*NDLR Armencom : l’événement a eu lieu le 8 décembre à la Bibliothèque Solvay à Bruxelles en présence du ministre arménien de l’Economie Karen Chshmarityan et d’une centaine d’invités (représentants des milieux d’importation viticole, de la restauration, journalistes spécialisés.)