Chers compatriotes,

A l’heure où j’écris ces lignes, nos compatriotes en Artsakh vivent des moments tragiques, soumis à un blocus aussi inhumain qu’humiliant, le tout dans l’indifférence générale de la communauté internationale.

Depuis le début de la guerre de 2020, les Arméniens du monde entier, y compris ceux en Belgique, sont pris dans le tourbillon des tragédies successives qui frappent l’Arménie et l’Artsakh. Ne pouvant rester passifs face à l’inaction et au silence consternant de la communauté internationale, notre premier réflexe consiste à interpeler et tenter de sensibiliser les autorités et l’opinion publique dans nos pays respectifs pour les rallier à notre cause. Alors que nous sommes à nouveau en pleine tempête, je vais prendre le temps cette fois de poser un diagnostic par rapport à ces actions, d’en tirer quelques leçons et de décrire ce que devrait être selon moi notre stratégie pour le futur.

Concernant le diagnostic tout d’abord.

Au niveau politique, le constat est plutôt simple. Les organes législatifs, composés des députés élus par la population sont globalement sensibles à notre cause. Leur soutien se traduit principalement par l’adoption de résolutions et par des questions qui sont posées au gouvernement. Toutefois, ces résolutions n’ont pas d’effet contraignant. La politique étrangère d’un pays est conduite par le pouvoir exécutif, organe non élu, qui peut se permettre d’ignorer complètement les résolutions du pouvoir législatif. Cette situation s’observe en Belgique mais également dans d’autres pays européens et aussi au niveau du Parlement européen. Le cas de la France est assez emblématique à cet égard. Alors que les deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat, sont allées jusqu’à reconnaître l’indépendance de l’Artsakh, cela ne s’est traduit à ce jour par aucun résultat concret sur le terrain. Ces résolutions ont certainement un poids symbolique très important. Toutefois, il faut avoir l’honnêteté de dire qu’elles n’empêchent par le développement des relations militaires, économique et diplomatiques avec les Etats qu’elles condamnent.

A cet égard, je suis toujours fasciné par l’attention et l’intérêt avec lequel les médias arméniens et les Arméniens en général scrutent et décortiquent les paroles et déclarations des leaders internationaux, essayant d’y déceler le moindre signal positif, le moindre signe avant-coureur de leur salut.

On peut faire ici un parallèle avec le combat mené depuis de nombreuses années pour la reconnaissance du Génocide de 1915. Notre revendication consiste à obtenir des différents pays et institutions internationales, et in fine de la part de la Turquie, une déclaration confirmant que le génocide de 1915 a eu lieu, les revendications quant à d’éventuelles réparations restant assez floues. Si de nombreux Etats dans le monde ont reconnu l’existence du Génocide, cela n’a pas empêché la Turquie de se développer, de devenir membre de l’OTAN et de devenir l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Europe. Le même constat s’observe désormais avec l’Azerbaïdjan.

Au niveau des médias belges et occidentaux, vous le constatez comme moi, la situation en Arménie et en Artsakh est soit complètement occultée, soit traitée de façon superficielle, sans rendre compte de la gravité de la situation sur le terrain. Pourquoi ? Est-ce parce que les sujets arméniens ne seraient pas assez vendeurs ? Est-ce parce que les sujets internationaux sont principalement traités par les grandes agences de presse qui ont toujours eu fort peu de sympathie pour la cause arménienne ? Il semblerait que les médias aient leurs raisons que la raison ignore. Les efforts consentis à ce niveau de la part de la communauté mènent souvent à la publication de l’un ou l’autre reportage, article ou billet d’opinion sur le sujet. Ceux-ci se perdent cependant bien vite dans le flot continu d’informations qui traitent avec une ardeur toute particulière certains thèmes bien choisis, et dont le sort des Arméniens ne fait pas partie.

Quelles leçons tirer de tout cela ?

Qu’il ne faut ni sous-estimer ni surestimer les actions de sensibilisation vis-à-vis des autorités et de l’opinion publique. Il faut garder à l’esprit que la sensibilisation reste toujours un moyen et jamais une fin en soi. Les plus belles résolutions, les plus beaux jugements restent de l’encre sur du papier si on ne dispose pas des moyens pour les faire appliquer.

Deuxièmement, nous ne sommes pas seuls au monde, mais nous sommes les seuls à défendre nos intérêts. Les personnes, les institutions et les Etats qui sont sensibles à notre cause peuvent nous apporter un soutien précieux, mais il ne leur appartient pas de nous sauver. La responsabilité de notre destin repose sur nous seuls, les Arméniens, et il nous appartient de guider ces soutiens en fonction de nos intérêts.

Comment agir ?

Tout en gérant les urgences, nous devons surtout développer nos propres infrastructures, qui nous permettront, y compris sur le long terme, d’agir pour la défense de nos intérêts de façon toujours plus efficace et plus professionnelle.

Cela implique par exemple :

  • de développer et professionnaliser nos propres moyens de communication (revue, radio, médias sociaux, etc.). Plus ceux-ci seront développés et bien organisés, et plus nous pourrons informer nous-mêmes nos compatriotes et nos autres concitoyens sur les sujets qui nous intéressent.
  • de trouver des formats de partenariats nouveaux avec l’Arménie et l’Artsakh, pour qu’au-delà de la charité, les Arméniens de la diaspora soient pleinement impliqués dans les défis auxquels leur pays est confronté. Cela passe notamment par la participation à des projets concrets et ciblés, qui s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie déterminée.
  • de développer nos propres réseaux d’enseignement, afin de sensibiliser et donner les outils nécessaires à nos enfants et à nos jeunes pour qu’ils soient en mesure d’affronter les défis auxquels ils seront confrontés en tant qu’Arméniens.
  • De renforcer les moyens financiers de la communauté, en profitant de tous les leviers disponibles. Il va de soi que nos possibilités d’action sont proportionnelles aux moyens financiers disponibles.
  • de contribuer au développement et à la diffusion de notre culture, en profitant des moyens inédits qui nous sont accessibles en Belgique.

La liste est encore longue, mais pour résumer, nous devons prendre pleinement sur nous le joug de la responsabilité de notre destin, et travailler pour développer les infrastructures et les outils qui nous permettront d’affronter les immenses défis auxquels nous sommes et serons confrontés. L’heure est grave, et les signes avant-coureurs d’une nouvelle tragédie nationale sont palpables. Escompter un soutien de la part de la communauté internationale reste un pari des plus hasardeux. Pour survivre et nous développer, nous n'avons d’autres choix que d’être ambitieux et de nous donner les moyens de nos ambitions.