RTBF- Sophie Guignon - 04/09

Dans les quartiers de Mar Mikhaël et Gemmayze, qui étaient le cœur battant de la vie nocturne beyrouthine, les premiers bars et restaurants ont rouvert un mois après la double explosion du port de la capitale le 4 août. Aline Kamakian est la fondatrice du très réputé restaurant arménien Mayrig, qui veut dire "maman". En seulement quatre semaines, elle a réussi le pari fou de rouvrir la terrasse de son restaurant malgré des dégâts colossaux.

Son établissement situé sur la rue Pasteur de Gemmayze est en face du port à moins de 200 mètres.
Plus de 85 familles dépendent de son restaurant, de l’achat des produits au service auprès des clients. "C’est une responsabilité de faire vivre autant de gens. Je devais rouvrir. Je n’espère pas faire de profits, seulement pouvoir payer les salaires pour garder mon équipe. C’est ma famille", raconte, émue, la charismatique cinquantenaire. Pour s’en sortir dans ce contexte de crise économique abyssale aggravé par la pandémie de coronavirus, la directrice de Mayrig en appelle aux dons.

Forte de son expérience dans la restauration, dès les jours qui ont suivi l’explosion, Aline Kamakian a converti un autre restaurant qu’elle possède, Batchig, situé à une quinzaine de kilomètres de Beyrouth en cantine sociale. Chaque jour, ses serveurs, cuisiniers et des bénévoles s’attellent à la fabrication de 2500 repas qui sont ensuite distribués dans les quartiers sinistrés par des ONG. "Aider les autres, c’est une manière de se soigner aussi", sourit la directrice.

Pour autant, le traumatisme est immense pour Aline Kamakian et ses employés qui étaient sur place aux alentours de 18h, le 4 août, l’heure à laquelle le pouls de Beyrouth s’est arrêté de battre. "Certains de mes employés ont perdu ce qu’ils avaient de plus précieux, l’ouïe, la vue, la motricité. Nous sommes des survivants et nous allons reconstruire", explique les larmes aux yeux la restauratrice qui a elle-même perdu la moitié de son audition et eu plusieurs côtes fracturées.

"Je lui dois la vie", se souvient Julien Bou Assi, son expert-comptable. "C’est la première fois que je reviens dans le quartier et dans le restaurant. On va reconstruire et ce sera même mieux qu’avant", espère le jeune homme de 35 ans dont les cicatrices marquent encore le visage et les bras. Plus d’un mois après la catastrophe, il voit toujours flou et ne peut plus utiliser son bras droit.

La double explosion du port a ravagé des quartiers dont l’économie est basée sur le tourisme. Mar Mikhaël et Gemmayze attiraient la jeunesse de tout le pays, la nombreuse diaspora libanaise et des étrangers venus visiter le pays du cèdre. D’après le syndicat des restaurateurs, 2100 restaurants et bars ont été endommagés. Le secteur a perdu 270 millions d’euros. La reconstruction vient s’ajouter aux crises préexistantes auxquelles devaient déjà faire face les restaurateurs : dévaluation de la monnaie locale, baisse de pouvoir d’achat de la clientèle, coronavirus et distanciation sociale. Sans aides, ce secteur, piliers de l’économie libanaise, peinera à se relever.