RTBF.be - Daniel Fontaine – 22/07 

"La Belgique n'acceptera pas une exportation des tensions qui ont lieu en Turquie." Le gouvernement belge a mis en garde les autorités turques contre les débordements qui se multiplient chez nous depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet. Un climat délétère de menaces et de violences s'est installé dans la communauté turque de Belgique. Des sympathisants du président Erdogan ont mené plusieurs actions de vandalisme contre des associations considérées comme proches du mouvement Gülen.

A Schaerbeek, des pavés ont été jetés dans les vitrines d'un bâtiment de bureaux. A Gand, des tags d'insultes ont été badigeonnés sur les locaux d'une association. Et à Beringen, des manifestants pro-Erdogan ont attaqué et endommagé un bâtiment.

Mouvement de haine et appels à la délation

Ces incidents font écho au vaste mouvement de répression qui se poursuit en Turquie à l'encontre de tous ceux qui sont considérés comme sympathisants de l'imam Fettullah Gülen. Ce prédicateur, ancien allié de Recep Tayyip Erdogan, est accusé par Ankara d'avoir commandité le putsch manqué. Fetullah Gülen a démenti, mais de vastes purges se poursuivent inexorablement.

Au-delà des dégradations commises sur des bâtiments catalogués gulénistes, des menaces circulent dans la communauté belgo-turque.

"Dans ce mouvement de haine, il y a des appels à la délation de toute personne, organisation ou entreprise, qui aurait un lien quelconque avec le mouvement Gülen", s'inquiète Hüseyin Çakmak, représentant de Fedactio, une fédération d'associations. "Certaines personnes publient des noms sur les réseaux sociaux. Ils désignent des gens, des organisations, des commerces à boycotter. Il y a des listes de commerces où ils demandent de ne plus rien acheter. Ceux qui continueraient à les fréquenter sont considérés comme traitres à la nation et assimilés aux putschistes. En tant que fédération, nous conseillons à nos membres victimes de ces menaces de porter plainte."

Une volonté d'importer le problème en Belgique

L'ambiance dans les quartiers à majorité turque est devenue très lourde. Chacun est sommé de se positionner, pour ou contre Erdogan. "Nous craignons que cette polarisation ne s'aggrave, prévient Hüseyin Çakmak. Il y a des discours de haine, des propos injurieux, notamment sur les réseaux sociaux. C'est un mouvement émotionnel des partisans du gouvernement turc dirigé contre le mouvement Gülen. Pour eux, c'est noir ou blanc. Vous êtes pour eux ou contre eux. Et si vous n'êtes pas pour Erdogan, vous êtes considéré comme un traître à la nation, qu'on ait un lien avec le mouvement Gülen ou pas. Ça crée un malaise général au sein de la communauté belgo-turque." "Nous sommes très inquiets de la tournure des événements, poursuit Hüseyin Çakmak, parce qu'il y a une volonté et une organisation pour importer en Belgique ce problème politique. Des personnes subissent des menaces contre elles, leur famille, leur commerce, sous prétexte qu'ils auraient sponsorisé une activité. Pour nous, ce sont des faits graves."

"Nous constituons des cibles"

Pour le représentant de Fedactio, le déclenchement de ces incidents vient de Turquie: "Le président turc pointe du doigt un soi-disant 'État parallèle', ce qui, dans le contexte turc, fait référence au mouvement Gülen. Comme il se trouve dans nos associations, ou parmi leurs fondateurs, des gens qui sont sympathisants de ce mouvement, et que ceci est connu de la communauté belgo-turque, nous constituons aussi des cibles."

Fedactio est une coupole de 67 associations qui disent vouloir contribuer positivement à la société belge. Parmi elles, des associations culturelles, des écoles, des organisations de cohésion sociale, des entreprises…

L’ambiguïté sur les liens avec Gülen

Ce réseau constitue-t-il la colonne vertébrale de Hizmet (le service en turc, nom du mouvement Gülen) en Belgique? Hüseyin Çakmak ne répond ni par oui, ni par non. "Le mouvement Gülen, c'est un mouvement social d'inspiration religieuse. On n'en fait pas partie en signant un document ou en se conformant à des critères. Ce mouvement est formé par des gens qui partagent les idées inspirées par Fetullah Gülen. Des membres et des fondateurs de Fedactio et de ses associations se retrouvent dans cette inspiration. Mais Fedactio ne se revendique pas comme faisant partie du mouvement Gülen. Cela dit, la communauté turque de Belgique sait que bon nombre de gens actifs dans les associations de notre fédération sont inspirées par les idées de Gülen ou sont d'accord avec certaines de ses idées."

Cette ambiguïté sur les liens avec le prédicateur réfugié aux États-Unis nourrit certains fantasmes. Fedactio a beau condamner clairement la tentative de coup d’État en Turquie, Fetullah Gülen a beau démentir tout lien avec les putschistes, le soupçon demeure, nourrit par les accusations formulées à Ankara. Par précaution, Fedactio a recommandé à ses membres les plus connus de renoncer à se rendre en Turquie cet été et jusqu'à nouvel ordre. Le risque de se retrouver derrière les barreaux est trop grand.