Communiqué de presse CAB - 05/12

Les Arméniens viennent de connaître une cuisante défaite. C’est notre défaite à tous, même si les conscrits tombés au front et les réfugiés en ont payé le prix lourd.

Au lendemain de la défaite, chacun a réagi selon son expérience et son tempérament. Il y eut le déni : la guerre ne pouvait se terminer ainsi, il fallait continuer, poursuivre l’effort. Il y eut la colère : contre ceux qui auraient trahi, contre ceux qui ont menti, contre les dirigeants qui se sont trompés. Il y eut la négociation : le groupe de Minsk n’allait-il pas renégocier cet accord de cessez-le-feu avec équité ? Il y eut enfin l’abattement, bien sûr …

Ces réactions se sont fait particulièrement sentir en Arménie. A Yerevan, on a voulu renverser le gouvernement, et la légitimité du premier ministre, ce héro de la révolution de velours de 2018, a été gravement mise à mal. Soudain, toutes ses erreurs passées n’apparaissent plus comme les maladresses d’un sympathique nouveau venu mais comme des extravagances aux conséquences catastrophiques.

Les crises comme celle que nous traversons sont, par excellence, des moments d’apprentissage. L’Arménie est notre projet commun et cet échec est notre échec à tous. Alors, quelles leçons en tirer ?

C’est vrai, les Arméniens, en Arménie comme dans la diaspora du monde entier, ont su montrer leur mobilisation et leur solidarité dans ce moment de crise. C’est vrai en Belgique aussi où des milliers d’Arméniens ont mobilisé des fonds, envoyé de l’aide en Arménie, et tenté de mobiliser le monde politique et les médias.

Pourtant, la première leçon à tirer de cette expérience est que la motivation et la solidarité n’ont pas suffit. Le courage des soldats au front n’a pas fait le poids face aux drones et aux missiles. En réalité, le pays n’était absolument pas préparé pour la guerre. Il n’avait ni l’équipement, ni l’organisation qui lui auraient permis d’espérer résister à l’assaut. Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que ni les autorités, ni la population ne semblaient en être conscientes. Même après plusieurs semaines de combats, semble-t-il, l’armée et le gouvernement continuaient d’espérer la victoire.

Ce manque de lucidité a coûté des vies à des milliers de jeunes gens. Comment l’expliquer ? Est-ce le manque de courage des dirigeants, qui n’ont pas osé avouer au peuple les faiblesses de leur pays ? Est-ce au contraire l’intransigeance du peuple, qui refusait d’entendre les mauvaises nouvelles ou d’envisager des concessions ?

Les Arméniens sont égalitaires et leurs instincts sont démocratiques. L’Arménie est l’un des rares pays de l’ex-Union Soviétique où aucun des dirigeants élus depuis 1991 n’a sa statue. Pourtant, nous devons renouveler notre pratique du débat public pour l’ancrer solidement dans la vérité, et apprendre à trouver ensemble les solutions. Peu nous importe ce que l’Europe attend de nous. L’Arménie n’a plus le droit à l’erreur. Seule notre intelligence collective permettra au pays de survivre.

Nous avons appris de cette guerre aussi que l’Arménie est seule responsable de sa survie. Ni la France, ni les Etats-Unis n’ont été capables d’arrêter la furie meutrière. Seule la Russie a su arrêter la guerre, encore les limites de son pouvoir ou de sa bonne volonté étaient-elles manifestes.

Quant à l’Europe, elle a montré son inconsistence, voire une forme de soutien tacite à la Turquie et à l’Azerbaïdjan. Seule la France d’Emmanuel Macron a su sauver l’honneur en tentant de s’opposer seule, pour l’instant, à l’audace d’Erdogan.

La diaspora et notre communauté arménienne de Belgique doivent elles aussi tirer les leçons de cet épisode pour renforcer nos institutions. Après avoir travaillé dans l’urgence, il est manifeste qu’il nous faudra travailler dans la durée pour éduquer le public et les élus belge sur les questions qui nous préoccupent, pour organiser et former de cadres communautaires spécialisés dans le travail avec les élus et avec les médias et pour développer considérablement notre capacité d’action et d’analyse. Nous avons perdu une bataille, nous n’avons pas perdu la guerre. L’avenir dépendra de notre capacité à tirer les leçons de la défaite de 2020. Nicolas Tavitian, Président du Comité des Arméniens de Belgique