- Elmar Brok « nier l’histoire, c’est ne pas faire partie de l’Europe »
- Jean-Marie Cavada : « le chef de l’Etat turc doit s’agenouiller devant le monument du génocide en Arménie ».

Bruxelles (Belgique), le 9 octobre 2009 – Le 6 octobre 2009, le Parlement européen a accueilli une conférence intitulée « Négationnisme et Démocratie en Europe ». Cet évènement a constitué une occasion de réaffirmer la nécessité d‘une pénalisation paneuropéenne du négationnisme.

La conférence, qui a accueilli une centaine de participants parmi lesquels des députés européens, des conseillers politiques et des experts, a recensé les cas de négationnisme au sein de l’Union européenne à la lumière de la Décision-Cadre contre le racisme et xénophobie qui a été adoptée par le Conseil européen l’année dernière.

Parmi les intervenants, les députés européens Elmar Brok (PPE, Allemagne), et Jean-Marie Cavada (PPE, France) ont rappelé l’importance de la Décision-Cadre, tandis que le Dr. H.C. Ralph Giordano, une figure du paysage intellectuel allemand, rescapé de la Shoah, a rappelé que tout espoir de réconciliation entre l’Arménie et la Turquie était inconditionnellement subordonné à la reconnaissance par la Turquie du Génocide des Arméniens.

M. Brok a rappelé que la lutte contre le négationnisme est une réponse à « l’histoire de l’Europe, aux destructions de la deuxième guerre mondiale, et à la Shoah qui a pris ses racines dans le Génocide des Arméniens par l‘Empire ottoman en 1915 ». Il a redit sa conviction que « maintenir la Mémoire et lutter contre le négationnisme des génocides est essentiellement le rôle de la politique ».

M. Cavada, mettant en exergue le contraste entre la contrition allemande envers la Shoah et la négation du Génocide des Arméniens par la Turquie, a asséné que la compréhension et l’acception de son histoire nationale est le fondement de la démocratie. Abordant les négociations en cours avec la Turquie, il a dit que « nous ne pouvons pas faire confiance à un gouvernement qui refuse de faire face à son passé. » Établissant une distinction entre le peuple turc et ses responsables politiques, M. Cavada a qualifié le gouvernement d’Ankara de « dangereux » et le négationnisme de « cancer ».

M. Giordano a rappelé l’histoire politique des événements amenant à 1915, en qualifiant le Génocide des Arméniens « d’apocalypse d’une ampleur universelle » similaire aux crimes dont se sont rendus responsables les nazis. M. Giordano a expliqué que Juifs et Arméniens sont unifiés par ce qu’ils ont vécu, une histoire tragique partagée par des survivants et leurs descendants. Ajoutant que les deux peuples sont en danger hier comme aujourd’hui, il a expliqué que toute l’expérience de sa vie l’appelait à « militer pour une alliance entre ces communautés ».

La conférence était organisée par la Fédération Euro-Arménienne en collaboration avec le Centre Communautaire Laïc Juif et IBUKA-France, la principale organisation de défense des rescapés du Génocide des Tutsi. Les présidents de ces trois organisations ont dénoncé le négationnisme en Europe et ont souligné l’importance de défendre les valeurs européennes par une interprétation forte de la Décision-Cadre.

L’article 1 de la Décision-Cadre contre le racisme et la xénophobie pénalise le négationnisme en Europe. Les Etats membres de l’Union européenne sont légalement engagés à incorporer les dispositions de cette Décision dans leurs législations nationales d’ici 2010.

Mme Hilda Tchoboian, la présidente de la Fédération Euro-Arménienne, a invité les divers ministères de la justice ainsi que l’Agence de Droits Fondamentaux de l’Union européenne pour mettre en application des interprétations strictes de la Décision-Cadre et pour présenter ainsi une norme juridique pour le négationnisme, qui pourrait pénaliser le racisme sous toutes ces formes. Abordant par ailleurs les tractations en cours entre l’Arménie et la Turquie, elle a affirmé le soutien des Arméniens d’Europe à la normalisation des relations entre les deux pays mais leur opposition à ce que « la Turquie introduise sournoisement dans les protocoles et dans les textes internationaux son négationnisme sous forme de commission qui devrait statuer sur la véracité du génocide ».


Résumé des interventions

M. Elmar Brok

La lutte contre le négationnisme est une réponse à l’histoire de l’Europe, aux destructions de la deuxième guerre mondiale, et à la Shoah qui a pris ses racines dans le génocide des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915. Maintenir la Mémoire et lutter contre le négationnisme des génocides est essentiellement le rôle de la politique.

Ce type de conférence est aussi important pour l’histoire de l’Europe : pour qu’il n’y ait plus de guerre, la mémoire des génocides doit être maintenue sans quoi nous ne pouvons pas construire l’avenir.

Le cas du Génocide des Arméniens fait partie de ces préoccupations en Europe ; aussi le travail que les organisateurs de cette conférence mènent au Parlement européen est une contribution indispensable à la construction européenne.

Mettre en cause l’histoire c’est mettre en danger les valeurs qui ont fondé l’Europe, c’est la raison pour laquelle la candidature de la Turquie pose problème car tout pays candidat doit accepter son passé pour faire partie de la famille politique.

M. Jean-Marie Cavada

Il faut qu’un responsable politique turc s’agenouille devant un monument du génocide des Arméniens. (voir vidéo)

Dr. H.C. Ralph Giordano

A l’initiative de la CDU, la résolution du Bundestag du 22 avril 2005 a réuni pour la première fois tous les partis allemands autour de la reconnaissance du Génocide des Arméniens.

Les Allemands étaient au courant de tous les détails de la destruction des Arméniens, mais peu ont manifesté leur réprobation : Le Maréchal Von Sanders qui a sauvé des Arméniens était une exception.

La Turquie officielle n’a rien appris de l’histoire puisqu’elle continue encore de nier le génocide. L’espoir renaît avec le processus de rapprochement entre l’Arménie et la Turquie, mais la condition première de ce rapprochement est que la Turquie reconnaisse le génocide des Arméniens.

M. Nicolas Zomersztajn (Belgique) du Centre Communautaire Laïc Juif a expliqué que le négationnisme n’est pas une opinion et qu’il ne relève pas de la liberté d’expression mais qu’il constitue un dangereux mensonge. Il a appelé à étendre la pénalisation de la négation de la Shoah aux cas Arménien et Tutsi.

M. Marcel Kabanda (France) a exposé le Génocide des Tutsi et a réaffirmé que le négationnisme n’est pas une opinion. « Notre objectif n’est pas de limiter la liberté d’expression mais d’interdire les discours de haine » a-t-il rappelé.

Dr Yves Ternon (France), a exposé les tactiques employées par les négationnistes modernes – la rationalisation, la relativisation et l’anamorphose avec une mise en exergue des détails au détriment de la signification de l’acte criminel. « Le négationnisme est un crime » a-t-il dit « visant à nuire aux communautés concernées et à perpétuer le cycle de la souffrance. Il n’a pas de place à l’Université ».

Prof Mihran Dabag (Allemagne) a discuté de la nature raciste et xénophobe du négationnisme et de l’importance qu’il y a à poursuivre les négationnistes afin de défendre les valeurs européennes.

M. Gilles Karmasyn (France) a mis en lumière les fondements antidémocratiques et anti-intellectuels du négationnisme. Il a aussi démontré l’adéquation de l’idéologie négationniste aux concepts sous-tendant l’Internet en général et les réseaux sociaux en particulier, et donc la fantastique utilisation des seconds par la première.

M. Olivier Baum et M. Pierre Henrot (Belgique), deux responsables associatifs ont révélé le double discours de nombreux responsables politiques belges qui d’une part donnent à leur électorat général l’assurance de soutenir la pénalisation du négationnisme et qui d’autre part nient le génocide des Arméniens vis-à-vis de leur électorat turc. M. Henrot a affirmé que ceux qui jouent ainsi misérablement avec la vérité historique pour des raisons électoralistes menacent les valeurs européennes.

Dr Laurent Leylekian (France) a rappelé le lien entre négationnisme et agression raciste. Il a ensuite commenté la Décision-Cadre en relevant les possibles écueils qui aboutirait à une implémentation déficiente. Il a illustré son propos par l’exemple de la déclaration faite par la France – probablement sous influence du lobby négationniste « Liberté pour l’Histoire » - lors de l’adoption de la Décision-Cadre tout en s’interrogeant sur la valeur juridique de ce type de déclarations.

M. Manuel Abramowicz (Belgique) a rappelé comment l’antisémitisme, malgré l’opprobre qui le frappait suite à la seconde guerre mondiale et à la Shoah, a pu réapparaître à la faveur du révisionnisme du Génocide des Juifs et d’une pensée prétendument antisioniste qui s’est finalement muée en négationnisme.

Fédération Euro-Arménienne pour la Justice et la Démocratie

http://eafjd.eu/spip.php?article557