par Ara Toranian

Les fantasmes d’Europe sont finis pour l’Arménie. Vladimir Poutine a sifflé mardi 3 septembre la fin de partie du jeu diplomatique auquel s’étaient abandonnés Erevan et Bruxelles, dans leur tentative d’aboutir à un accord d’association et de libre échange commercial. Cette négociation, dont la conclusion avait été rendue publique le 28 juillet par l’Union européenne devait être signée lors du prochain sommet du Partenariat oriental qui se tiendra à Vilnius le 29 novembre 2013. Elle ne sera pas concrétisée, ce qui réduira à néant des années de travail et plus d’un an et demi de pourparlers serrés sur le sujet.  Cet épilogue n’a en soi rien de surprenant. Avec cette annonce, les choses rentrent dans l’ordre et l’Arménie dans le rang. Ce sont ses batifolages avec Bruxelles, hors des sentiers balisés par Moscou, qui semblaient transgressifs. Comment ce petit pays, en butte aux menaces de guerre permanentes de son riche voisin azerbaïdjanais et de l’Etat génocidaire turc, pouvait-il se permettre de contrarier la Russie, son seul partenaire stratégique, en facilitant la pénétration de l’influence occidentale dans la région ? Car ce sont bien en ces termes que les choses étaient analysées du point de vue de Poutine, qui ne badine pas avec ses chasses gardées. Et le sud Caucase, frontalier avec l’Iran, en est une de choix, surtout par les temps qui courent en Syrie...

Produit de son histoire et otage d’un contexte géopolitique particulièrement tendu, Erevan n’avait guère les moyens de résister longtemps aux rodomontades de son puissant grand frère qui tient en main tous les leviers de l’économie arménienne (merci Robert Kotcharian) et détient les clés de sa sécurité, voire, tout simplement, de sa survie.  Dans cette situation, Serge Sarkissian a néanmoins tenté d’ouvrir une brèche, en pariant sur la possibilité de faire cohabiter un partenariat commercial privilégiée avec l’Europe, et une alliance militaire avec la Russie. L’air du temps ne l’a pas permis. Moscou a froncé des sourcils, Tehéran a toussé dans sa barbe, et le pays, pris dans la tenaille turco-azérie, a compris que le moment n’était pas encore arrivé où il pourrait renouer avec sa vocation historique de carrefour des civilisations. D’autant que l’Europe, à qui Sarkissian avait demandé de faire pression sur la Turquie pour obtenir l’ouverture de la frontière, sinon “l’accord d’association n’aurait pas de sens”, n’a pas fait preuve de beaucoup de volonté politique en ce sens. C’est le moins qu’on puisse dire.

La tentative de l’Arménie aura au moins permis de donner temporairement le change en matière d’indépendance nationale, si tant est que ce concept ait encore un sens dans le monde d’aujourd’hui. La marge de manoeuvre qu’elle s’est octroyée lui aura fourni l’opportunité de se faire entendre et de se repositionner par rapport à Moscou, qui avait tendance à la considérer comme un allié captif, pied et poing liés. Mais à l’impossible nul n’est tenu. Les rapports de forces ont repris leurs droits, emportant avec eux la part européenne de l’Arménie, qui s’était jadis façonnée sur les bords de la Méditerranée, tandis que la part arménienne de l’Europe a été quant à elle depuis longtemps sacrifiée sur l’autel des bonnes relations avec l’Etat criminel turc. 

Heureuse la nation qui n’a pas d’histoire. Ni de géographie.

4 septembre 2013

Ara Toranian

Nouvelles d'Arménie Magazine