La France essuie la « sainte » colère d’Ankara. Dans cette épreuve tragi-comique, au moins  renforce-t-elle sans doute sa propre cohésion nationale. Rien de tel, n’est-ce pas, qu’une menace extérieure pour réchauffer le patriotisme et renforcer l’autorité de l’Etat ? Si les élus ne semblent guère impressionnés par le haka turc (1), c’est du moins ce qu’ils disent fièrement, ne craignent-ils pas plutôt les conséquences au plan intérieur ? En Belgique, nous savons que le poids des électeurs d’origine turque détermine l’attitude des partis politiques au sujet de l’extension de la loi de 1995 et nous savons aussi que l’irritation de cette susceptible communauté peut dégénérer en « violences urbaines ».

Le quotidien français « Var-Matin » (12 janvier 2012) a eu la bonne idée d’interroger un responsable communautaire turc, président de l’association franco-turque de Toulon. Pour l’essentiel le discours d’Ibrahim Erdogan est celui d’Ankara, sauf peut-être cette petite phrase : « À cause de cette loi, (…) nos enfants devront acquiescer à ce qu'on leur dira à l'école sans pouvoir s'exprimer. »

On le savait par les plaintes de certains professeurs empêchés d’enseigner les événements de 1915 ( la presse l’avait rapporté), le génocide des Arméniens et la Shoa sont des chapitres de l’histoire que nos gouvernants préfèrent ne pas voir enseigner partout en Belgique par crainte des chahuts en classe, mais surtout des protestations de parents d’élève. En voici, à présent, un aveu, d’autant plus intéressant qu’il lie la pénalisation, qui est un moyen de répression, à  l’enseignement, moyen de prévention considéré par les opposants à la loi comme le seul moyen efficace de vaincre le négationnisme d’Etat.

Même dans la meilleure hypothèse, l’enseignement ne peut suffire à vacciner contre le négationnisme car trop peu d’élèves sortent du secondaire en ayant bénéficié d’un cours d’histoire. On n’enseigne pas l’histoire dans les écoles techniques et professionnelles. La loi est donc nécessaire.

Même si le toulonnais Erdogan se trompe en suggérant que, si la loi est votée, un élève  risquerait la prison pour avoir repris son professeur sur le chapitre de 1915, il nous confirme qu’une loi est nécessaire également pour les élèves qui ont la chance de faire leurs « humanités », car sans la crainte d’une sanction le négationnisme continuera à saboter l’école.

L’école est une machine à intégrer socialement. Avec la famille, elle fabrique des citoyens fidèles et solidaires. Elle est fonde ainsi l’Etat, lui donne sa force et son efficience. La France est particulièrement fière de son école. Ce défi lancé par les Franco-turcs à l’école de la république ne doit sans doute pas plaire aux députés et sénateurs français. D’autant plus, qu’il signifie aussi un refus de l’intégration française.

A méditer par nos élus belges, mais aussi par tous nos historiens et intellectuels tentés par certaines pétitions : si vous voulez que nos enseignants puissent faire leur travail, que l’école joue son rôle social et d’intégration, il faut fixer les bornes de la liberté d’expression. Il faut une loi.

MM  

(1) danse guerrière des Maoris adoptée par une célèbre équipe de rugby à XV

 Source : Hay n°318 -janvier/février 2012