Maurice Sosnowski, Président du Comité de coordination des associations juives de Belgique.

 

Sous le couvert d'hostilité à Israël, la manifestation du 17 janvier 2009 de soutien au Hamas a été vécue par de nombreux Juifs dont je suis, comme un véritable tournant. Alors que certains extrémistes appelaient au meurtre des Juifs, à minimiser la Shoah, nous avons été choqués par l'absence de la moindre réaction politique à ces manifestations antisémites d'un autre âge. L'antisionisme radical tient bien de l'antisémitisme de par ses appels à la haine du juif.

Les conclusions des experts européens sur l'antisémitisme rejoignent celles du sociologue Didier Lapeyronnie, professeur à l'Université Paris Sorbonne pour qui « la focalisation sur les événements du Proche-Orient vient du fait que les gens sont antisémites, pas l'inverse. » Illustration : Quand Lars von Trier au festival de Cannes dit qu'il comprend Hitler et même sympathise avec lui, il choque. En réponse aux réactions du public, il dit qu'il n'a rien contre les juifs mais qu'Israël « is a pain in the ass».

 Car l'antisémitisme c'est comme un virus en train de muter et hélas de réussir sa mutation. On l'a connu catholique, puis fidèle aux mots d'ordre des Lumières, leur reprochant de l'avoir inventé ; anticapitaliste qui leur faisait grief d'être les alliés des riches, enfin raciste, l'accusant de corrompre par leur être même les races pures d'Europe. Aujourd'hui le nouveau virus a deux caractéristiques, l'antisionisme et le négationnisme.

Le mot sionisme, ce mot magnifique qui désigne un mouvement de libération nationale, est devenu pour certains d'un bout à l'autre de la planète un synonyme d'infamie. En Israël, la liberté d'expression est absolue. Le théoricien palestinien qui veut détruire Israël par le Boycott n'étudie pas à Naplouse mais à l'Université de Tel Aviv. Et ce Boycott est choquant. Ainsi, le seul accord qui ait jamais été dénoncé par la Région Bruxelloise a été celui conclu avec l'État d'Israël, une suspension absurde et pénalisante d'abord pour la Belgique puisqu'elle empêche mon Université de dialoguer avec ses consœurs israéliennes. Aucune suspension n'a jamais été envisagée en ce qui concerne d'autres pays bien moins respectueux des droits de l'homme.

La mission des politiques et des médias est d'éduquer le citoyen contre les idées reçues et non soutenir des propos démagogiques.

Parce qu'il s'est produit à Tel Aviv en septembre, un célèbre musicien belge a reçu des courriers d'insultes. Le mot Apartheid y revient sans cesse. Inadmissible. Pour lui et pour l'atteinte à l'éthique de mon peuple. Apartheid ? Qui d'autre qu'Israël a accueilli les oubliés du Darfour ? 22 % des étudiants du prestigieux Technion de Haïfa sont des Arabes israéliens, pour 20 % dans la population générale. Les Arabes de Jérusalem craignent le partage de la ville, car ils ont peur de perdre leurs avantages à la sécurité sociale israélienne. Tout ceci n'a pas empêché cet énorme événement qu'a été en 2001 la conférence de Durban, où toutes les ONG du monde venues pour parler de la misère, du racisme, de la faim dans le monde, de l'esclavage se sont trouvées d'accord pour constater qu'il n'y avait plus qu'une victime intéressante au monde : la victime palestinienne, et qu'un criminel digne d'intérêt, le criminel sioniste, qu'une idéologie à combattre de toutes ses forces : le sionisme. Ce qui fut confirmé à Durban II où ce grand progressiste et démocrate Ahmadinejad a appelé à la disparition d'Israël. La conférence de Durban III avait lieu la semaine passée. Convaincus que cette rencontre serait une fois encore transformée en foire anti-israélienne et, surtout, antisémite, l'Australie, le Canada, les États-Unis, la Hollande, la France, l'Angleterre, l'Allemagne,

l'Italie, la Tchéquie y avaient renoncé. J'aurais aimé que la Belgique adopte la même attitude.

Jacques Attali a dit : Parce qu'il est heureux mais inquiet, le peuple juif est aux aguets. Ainsi, a-t-il toujours été à l'avant-garde scientifique, culturelle, politique. Celui qui devine les problèmes avant les autres. Comme l'ont montré Einstein, Freud, Léon Blum, pour les juifs, le progrès est une bonne chose.

Mais aujourd'hui comment ne pas être inquiet quand devant la banque Dexia certains n'ont pas hésité à se déguiser et caricaturer le juif en buveur de sang et rue Neuve un samedi, à faire participer des enfants à leurs mascarades armées et en prendre d'autres en otages dans le public.

Nos plaintes sur tel ou tel incident antisémite restant sans suite (je pense particulièrement aux paroles de De Gucht considérées comme une des 10 phrases les plus antisémites de l'année passée), les représentants des différents ministères souvent absents, nous avons conclu à l'inutilité de nos réunions à la cellule de veille contre l'antisémitisme. Afin de préserver son indépendance et ainsi améliorer son efficience, nous proposons, en accord avec Edouard Delruelle, que cette cellule dépende directement du Premier ministre.

Et puis, il y a ce mot amnistie. Ce mot infâme, indigne à la mémoire aussi bien des juifs que des non juifs, des résistants et de tous les justes que ce pays a comptés.

Rien ne nous paraît plus dangereux que l'amnésie-amnistie. George Santayana a écrit « Ceux qui oublient le passé se condamnent à le répéter ». Alors que la Belgique sera cette année à la tête de la Task Force internationale sur la Shoah, il nous paraît indispensable que le rapport du Ceges (Centre d'Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines, NDLR), qui souligne la docilité des institutions belges durant la Shoah, soit enfin discuté par nos sénateurs. N'oublions pas que la paix que nous connaissons aujourd'hui en Europe n'est pas le fruit du hasard. Elle s'explique non par le refus mais par l'acceptation de l'histoire.

 

Le Soir - Cartes blanches