France-Inter Le 7/9 Géopolitique. Par Benrard Guetta - 4 avril 2016

Aux temps soviétiques, il existait une enclave arménienne dans la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, l’une des Républiques constitutives de l’URSS. Ce n’était pas une anomalie puisque le Kremlin s’était, au contraire, ingénié à créer des enclaves minoritaires dans chacune des Républiques soviétiques afin qu’elles ne puissent pas affirmer leur identité nationale et user de leur droit constitutionnel à sortir de l’Union.

Après l’effondrement communiste, cette pratique a d’ailleurs permis à la Russie de garder prise sur les Républiques soviétiques devenues indépendantes en jouant leurs minorités contre elles, notamment en Géorgie, mais c’est dès 1988 que l’enclave arménienne du Haut Karabakh s’était révoltée contre l’Azerbaïdjan en demandant son rattachement à l’Arménie. Ce fut le début d’une guerre, d’une vraie guerre que l’Arménie avait gagnée en reprenant le contrôle du Karabakh et créant une continuité territoriale entre elle et ce territoire montagneux. Les hostilités avaient plus ou moins cessé depuis mais ce front s’est rallumé vendredi et inquiète beaucoup les grandes capitales.

Aussi surprenant que cela soit, le minuscule Haut Karabakh mobilise les grandes puissances pour trois raisons.
C’est le Caucase, région totalement instable, entre la Mer Noire et la Mer Caspienne. On est là aux frontières de la Turquie, de l’Iran, de la Géorgie, de la Tchétchénie russe et bien près, aussi, de l’Irak et de la Syrie. Depuis la guerre de Tchétchénie, c’est une région travaillée par les réseaux djihadistes et dans laquelle une allumette pourrait suffire à mettre le feu aux poudres mais ce n’est pas tout. 

En très mauvais termes avec la Turquie qui refuse de reconnaître le génocide qu’elle a commis il y a un siècle,  l’Arménie s’est volontairement mise sous protection russe. Culturellement turc, l’Azerbaïdjan est lui, très proche de la Turquie même si la Russie lui vend des armes pour garder pied dans cette ancienne République soviétique. Chacun de ces deux pays a son protecteur et ces deux puissants protecteurs sont à couteaux tirés depuis que la Turquie a abattu, à l’automne dernier, un avion russe qui avait violé son espace aérien pour aller bombarder en Syrie. 

Derrière cette reprise des hostilités au Karabakh il y a l’ombre de cette extrême tension entre la Russie et la Turquie et toute la question est donc de savoir pourquoi l’Azerbaïdjan a soudain voulu reprendre cette enclave à l’Arménie - qui reste, jusqu’à présent, maîtresse du terrain - et jusqu’où cela peut aller.

Les Azerbaïdjanais ont-ils été encouragés par la Turquie afin d’aller créer des problèmes à la Russie ? Leur président a-t-il seulement voulu faire oublier à sa population les difficultés intérieures causées par la baisse des cours pétroliers ? Vladimir Poutine peut-il être maintenant tenté d’humilier la Turquie à travers l’Azerbaïdjan ?      

On ne sait pas mais si les grandes puissances sont si inquiètes, c’est que ce conflit local a une dynamique propre qui peut vite échapper à tout contrôle.