"France-Arménie" septembre 2015 - Propos recueillis par Anne-Marie Mouradian

Georges Dallemagne dirigeait l’équipe de Médecins sans frontières en Arménie à l’époque du séisme de 1988. Il a été sur terrain au moment du génocide au Rwanda, ainsi qu’à Srebrenica. Aujourd’hui député fédéral cdH (Centre démocrate humaniste), il se bat pour alerter ses concitoyens sur le sort des Chrétiens d’Orient et pour la reconnaissance du Génocide des Arméniens et autres minorités de l’Empire ottoman.

France Arménie: Vous avez jugé la résolution sur la commémoration du Génocide des Arméniens insuffisante et peu claire. Que proposiez-vous ?

J’avais été approché au départ par la Fédération araméenne.

Elle m’a parlé du centenaire du génocide en expliquant qu’ils avaient eu 500.000 morts mais qu’ils étaient les oubliés de l’Histoire. Ma première proposition demandait l’extension aux Araméens (Syriaques, Chaldéens, Assyriens) de la résolution de 1998 sur le génocide arménien.

Puis, j’ai découvert que ce texte n’engageait que le Sénat et ne constituait pas une reconnaissance par la Belgique. Il demandait à la Turquie de  reconnaître le génocide arménien. C’est important mais la priorité pour moi est que la société démocratique belge le fasse.

J’ai aussi découvert qu’en 20 ans, 13 propositions avaient été déposées sur le sujet. En 2003, une « proposition relative au génocide dont les Arméniens de l’ex-Empire ottoman ont été victimes en 1915 » a même été adoptée en commission des Relations extérieures de la Chambre. Elle était très claire et aurait dû être votée en plénière mais n’a pas dépassé le stade de la commission car des élections législatives avaient lieu la même année.

En 2015, il aurait suffi de la reprendre puisqu’elle avait eu l’accord de la plupart des partis politiques mais ce qui était possible il y a 12 ans, ne l’est apparemment plus aujourd’hui.

Il y a eu des déclarations contradictoires au sein de la majorité.

Après les propos scandaleux du ministre des Affaires étrangères à la Chambre (1), j’ai déposé une deuxième proposition demandant cette fois une reconnaissance formelle du génocide par la Belgique et ajouté des amendements à la première; j’avais le soutien de l’opposition. Le PS annonçait également le dépôt d’un texte. Il y a eu à ce moment-là une pression très forte sur la majorité. Celle-ci avait prévu un vote vers la fin de l’année seulement mais a fini par bouger.

Le 18 juin à la Chambre, deux députés de la majorité ont interrogé le Premier ministre qui a répondu par une déclaration très claire reconnaissant le génocide arménien. Tout le monde s’en est félicité.

Une déclaration historique ?  

Elle a constitué un grand pas en avant même si elle n’est pas dénuée de toute ambiguïté. Elle ajoute en effet qu’ « Il appartiendra à des juridictions de se prononcer sur le sujet. » Or on sait qu’aucune juridiction nationale ou internationale ne pourra reconnaître un génocide commis il y a un siècle dont tous les auteurs et quasiment toutes les victimes sont morts. Réclamer cela, c’est introduire un doute là où il n’y a pas lieu. C’est une voie sans issue et un retour à la thèse turque. Malgré tout, nous avons pris cette déclaration positivement et nous nous en sommes réjouis.

La résolution de la Chambre en juillet constitue un recul ? 

Après une première version, la majorité a déposé un autre texte décevant. Il déplaçait seulement du 1er au 2ème paragraphe le passage qui exonère la Turquie actuelle de toute responsabilité historique et morale dans les actes commis par l’empire ottoman.

Pour le ministre Reynders, la déclaration du Premier ministre était allée trop loin. La Turquie avait fait connaître sa mauvaise humeur. La résolution a fait des navettes entre Bruxelles et Ankara. Il semble que la Turquie ait joué un rôle appuyé dans certains éléments de langage. La majorité a refusé tous les amendements et le texte a été voté en plénière.

A la quasi-unanimité.

Je me suis abstenu. Mon groupe a voté « pour » afin de montrer qu’à nos yeux, il ne saurait y avoir de doute sur la reconnaissance de ce génocide par la Belgique.

Mais dès la rentrée, nous chercherons à compléter la résolution. Le cdH redemandera avec le FDF  que la loi de 1995 pénalisant la négation de la Shoah soit étendue au génocide des Arméniens et à celui des Tutsis. Nous demanderons aussi d’étendre la reconnaissance du génocide aux Araméens (Syriaques, Chaldéens, Assyriens) et Grecs pontiques.

 

(1) Le 23 avril, Didier Reynders déclarait  « qu’un génocide ne peut être reconnu que par un organe juridictionnel. Dès lors il ne me semble pas opportun que d’autres instances, législatives ou exécutives, se substituent au pouvoir judiciaire pour reconnaître un génocide.»