RTBF Chroniques - J. Montay - 2 juin 2015

Il y a deux mots que les politiques francophones doivent savoir prononcer en ce moment : "génocide arménien". Celui qui ne peut pas dire ces mots de façon explicite, risque d'être mis dehors par son président de parti. Pour Mahinur Ozdemir (CDH), c'est chose faite : son président, Benoît Lutgen, l'a exclue du parti. Rien de tel dans les partis flamands, bien que certains politiques y nient aussi le génocide. Un génocide, deux univers ? Voire plus ? Pourquoi cette différence ?

Emir Kir (PS) n'était pas le seul député d'origine turque absent lors de la minute de silence à la Chambre, jeudi 30 avril. Des membres de plusieurs partis avaient aussi posé un lapin à la mémoire : Fatma Pehliva (sp.a), Veli Yüksel (CD&V) et la présidente de Groen, Meyrem Almaci, avaient également autre chose à faire que respecter une minute de silence.
Et ces personnalités politiques flamandes n'ont pas été rappelées à l'ordre par leurs partis. Aucun journaliste néerlandophone ne les a poursuivies avec un micro pour leur demander si elles refusaient réellement de prononcer les mots "génocide arménien".

L'explication par Google
L'une des raisons de cette différence entre Flandre et Wallonie repose sur une variation de sensibilité dans le paysage médiatique. Si l'on recherche les mots "génocide arménien Belgique" sur Google, on tombe immédiatement sur 1 120 000 résultats, tandis qu'avec les mots "Armeense genocide België", il n'y a que 208 000 résultats.
Les hommes et femmes politiques francophones sont naturellement plus sensibles que les Flamands à l'avis des électeurs sur le génocide arménien, car ils vivent dans un paysage politique où ce sujet est particulièrement débattu.

Dispute entre partis francophones
La polémique à propos de la reconnaissance du génocide arménien s'inscrit aussi dans un contexte de tension extrême entre partis francophones, et en particulier entre le MR, le PS et le cdH.
Après l'absence d'Emir Kir (PS) à la Chambre, tous les partis politiques ont guetté la réaction du PS. Et surtout, le MR. Cette absence était en effet un incroyable cadeau pour Charles Michel, si critiqué par la socialiste Onkelinx, au mois d'octobre, lors de la polémique autour de la collaboration (cfr. Theo Franken et Jan Jambon). Au petit jeu politique de "Qui est le plus grand démocrate", le PS n'était plus gagnant.
La réaction du PS à l'encontre de Kir n'était pas un exemple de bonne communication. Dans le genre "un point pour le peuple arménien, un point pour la communauté turque qu'il ne faut pas stigmatiser".
Le président du cdH Benoît Lutgen voulait donner une leçon de clarté au PS : "Il n'y a pas de place chez les Humanistes pour ceux qui n'acceptent pas les valeurs du cdH (et la reconnaissance du peuple arménien)..." Et la sanction tomba.

Communautarisme
Dans les partis francophones, le débat fait rage depuis longtemps à propos du "vote ethnique" : jusqu'où faut-il aller pour attirer les votes des Belges d'origine marocaine ou turque ?
Joëlle Milquet, la précédente présidente du cdH, avait à ce sujet une approche très tolérante, voire laxiste. Elle était la grande défenderesse des "accommodements raisonnables" : des heures de piscine séparées pour les femmes ? Pas un souci pour elle. Lutgen voulait rompre avec le passé. Une autre explication de sa décision.

Dans le passé, un débat flamand
Qui s'en souvient ? Le ministre-président flamand Yves Leterme (CD&V) a reconnu en juin 2007 au parlement flamand l'existence du génocide arménien de 1915. Une polémique avait éclaté suite à la parution de ses propos dans un journal turc. Leterme y disait que les instances internationales devaient d'abord se prononcer sur la question du génocide. Rien d'autre que ce que Reynders a déclaré fin avril 2015 à la Chambre. Suite à une question du Vlaams Belang, Leterme a donc dû se justifier au Parlement flamand.
Le Vlaams Belang est l'auteur du plus grand nombre d'initiatives pour reconnaître le génocide arménien. Il a introduit une résolution au parlement flamand, adoptée le 15 avril dernier.
Le Vlaams Belang a aussi depuis longtemps Emir Kir en ligne de mire. C'est aussi sans doute l'une des raisons pour lesquelles les autres partis flamands ne veulent pas embrayer sur l'extrême droite. Et c'est pourquoi les partis francophones semblent bien seuls à se préoccuper du génocide arménien.

Mais voici venir la N-VA
Le débat débarque cette semaine dans tout le pays : la N-VA a introduit une proposition de résolution. Le député Peter De Roover en est l'initiateur. Il veut que tous les partis, majorité comme opposition, signent sa résolution. Cette proposition arrive après une autre, introduite par Denis Ducarme (MR). Ainsi, le génocide arménien deviendra finalement l'affaire de tous les Belges.

Cet article a été écrit en néerlandais pour le site de la VRT.