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Armenews - 03/12

L’Assemblée nationale a examiné aujourd’hui la proposition de résolution N° 3538 sur la protection du peuple arménien et des communautés chrétiennes d’Europe et d’Orient.

Ce texte déposé par le groupe LR affirme comme priorité « l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit garantissant la sécurité durable des populations civiles affectées et la mise en œuvre d’un processus de paix et de reconnaissance du Haut Karabakh ».

Elle a été largement adoptée : sur 207 votants, 191 exprimés, pour 188, contre 3. Un vote historique qui vient une semaine après celui du Sénat français, et qui montre à quel point la France peut être le porte-voix d’un message universel de paix.

Guy Teissier (LR) avait présenté le texte en fin de séance ce matin. « Nous n’avons pas pu éviter la guerre, évitons le déshonneur », a lancé le député des Bouches-du-Rhône, applaudi par l’Hémicycle. Il a appelé à aller au-delà des clivages politiques pour « témoigner à l’Arménie notre reconnaissance à sa fidélité ». Selon lui, seule « la diplomatie parlementaire permettra à la France de ne plus avoir à rougir », la France qui s’est condamnée à l’impuissance diplomatique dans les négociations pour la paix en Artsakh, laissant la place à la Russie et la Turquie. Véhément vis-à-vis de la politique néo-ottomane d’Erdogan - sa « motivation à peine voilée est d’anéantir les valeurs de l’Occident » -, Guy Teissier a dit que la menace été réelle non seulement dans le Caucase, mais aussi au cœur même de l’Europe, parlant de Chypre et de la Grèce.

Il a regretté le fait que, face à la situation en Artsakh, la France soit restée neutre : « Qu’avons nous fait ? A part certes quelques déclarations convenues... », a-t-il pointé, avançant l’idée que le chantage migratoire nous a poussé à nous taire. Il a également clairement rappelé le rôle des mercenaires envoyés par la Turquie, qui ont fait la différence sur le terrain. « Combien de provocations avant que les véritables sanctions ne soient prises ? », a-t-il harangué.

« J’ai grandi au milieu des Arméniens à Marseille, a-t-il rappelé. Ils sont une partie de notre France, nous ne pouvons pas les oublier ». Face à cette tragédie, il est urgent que la France pèse pour le droit à l’autodétermination des peuples. Car, après s’être fait prendre ses terres, l’Arménie doit faire face à une menace sur sa culture, son identité. Or, il s’agit du patrimoine de l’Humanité. La France accueille le siège de l’UNESCO, elle a donc une responsabilité particulière. Nous ne pouvons pas rester neutre et détourner le regard. Il faut être à la hauteur de l’amitié séculaire qui n’a jamais été démentie entre l’Arménie et la France. « Une cause qui nous dépasse, nous rassemble : une cause non communautaire mais universelle », a dit Guy Teissier, assurant que, si l’Assemblée nationale, à l’instar du Sénat français, demande officiellement la reconnaissance de l’Artsakh, ce serait « une prise de position forte », qui permettrait de relancer le débat sur le plan politique et de sortir cette République de l’ombre.

Puis la résolution a été débattue à partir de 15h, en reprise de séance. Michel Fancet (MoDem) a tout d’abord pris la parole, expliquant qu’il était nécessaire que la France maintienne sa position de médiatrice. « Notre action doit être de renouer le dialogue » et de garantir l’accès de l’aide humanitaire et le retour des volontaires : ce ne sont qu’à ces conditions qu’il y aura une véritable issue possible, d’après le député. Par conséquent, « il est nécessaire que nous nous engagions à reprendre négociation : le statut quo ne peut pas être la solution. » Se joignant à une demande plus importante d’action de l’Union européenne, Michel Fancet a dit que cette résolution n’était « qu’une première étape » : la voter, « c’est notre devoir envers l’Arménie et son peuple, comme envers tous les peuples opprimés dans le monde ».

Dans son explication de vote du groupe MoDem, son collègue Jean-Pierre Cubertafon a annoncé que chacun été libre de son vote. « A titre personnel, je voterai pour », a-t-il confié.

Puis ce fut Isabelle Santiago pour les Socialistes et apparentés qui s’est exprimée. Citant le poète William Saroyan, elle s’est émue d’avoir dû être témoin de cette nouvelle épreuve affligée au peuple arménien qui a dû affronter seul des hommes surarmés. Selon elle, il est donc de la responsabilité des députés de voter cette proposition de résolution qui a été possible grâce à une convergence politique. Citant le recours à la force, le ciblage des populations civiles, le non respect des droits des prisonniers de guerre, l’utilisation d’armes prohibées, le déplacement des populations, Isabelle Santiago l’a pointé : « On ne serait pas loin d’un second génocide ». Dès lors, « dénoncer, manifester ne suffit plus ». Il faut réitérer son amitié et être aujourd’hui à la hauteur de la dramatique situation. « La reconnaissance n’est pas un symbole : c’est un devoir, un devoir dont la France doit s’honorer. » C’est pour cette raison qu’elle a annoncé que son groupe voterait majoritairement pour.

Ce qu’a également expliqué lors des explications de votes sa collègue Valérie Rabault, président du groupe des Socialistes. « Monsieur le ministre, vous dites que vous voulez apporter un soutien aux populations. Pour l’heure, la France a été spectatrice, a-t-elle regretté. Vous revendiquez la neutralité mais la France a toujours su porter une voix, refuser une neutralité dangereuse. » Ainsi, elle votera pour, même si elle a regretté que le parti des Républicains aient voulu faire de cette résolution un patchwork car « le Haut-Karabakh et les Arméniens auraient mérité qu’il y ait un large consensus que vous n’aurez probablement pas ».

La parole fut ensuite donnée à Pierre-Yves Bournazel, pour le groupe Agir ensemble. « Nous devons être lucide face à la Turquie », a-t-il scandé, demandant la continuité de l’aide humanitaire. Concernant la demande de reconnaissance, il a dit mesurer la dimension symbolique, mais a rappelé quelques nuances, donnant toute liberté à chaque membre de son groupe de faire son choix : « En mon propre nom, je la voterai en toute liberté, toute responsabilité, avec lucidité sur l’avenir, nous devons agir. »

François Pupponi, pour le groupe Libertés et territoires, s’est clairement exprimé pour le fondement du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il a expliqué qu’il aurait été judicieux de voter cette résolution avant le conflit car, en indiquant la voie, l’Assemblée nationale aurait fait briller la République au firmament. Mais il est encore temps, selon lui, car cela permettra au moins la protection de la population sur place et la préservation du patrimoine chrétien. Il a également expliqué qu’il voterait pour car « nous n’avons pas été au rendez-vous ». Pire, il y a le sentiment d’avoir laissé les Azéris agir depuis quelques années, pense-t-il, lui qui a rappelé l’histoire des chartes d’amitié. Entre le déshonneur, ou sauver notre honneur pour cette petite République par la taille mais ô combien grande par ailleurs, François Pupponi a fait son choix : voter pour, et assurer la survie des Arméniens.

C’est Agnès Thill pour le groupe UDI et indépendants qui a déclaré que le mot « sanction » ne devait plus faire peur : « Les actes doivent enfin suivre les discours », appelant les membres de l’UE à prendre leurs responsabilités. Elle a annoncé donc qu’elle votera pour la résolution, tout comme la majorité de son groupe, car elle « a le mérite du courage et de la clarté. »

Clémentine Autain pour la France insoumise a eu un discours très fort, interpellant directement le ministre Jean-Yves Le Drian : « Qu’avez-vous fait ? Savez-vous que l’inaction est une action ? Vous et vos prédécesseurs aviez eu 20 années pour trouver une solution pacifique ? Etiez-vous trop occupé avec Erdogan ? ». Elle a également regretté que la France ait aussi oublié les sociétés civiles turques et azerbaïdjanaises, qui militent pour les droits de l’homme. « Monsieur le ministre, vous ne pouviez pas dire que vous ne saviez pas », a-t-elle encore déclaré, mais rappelant à quel point le marché des armes vendues à Aliev peut être lucratif…
Si elle a ajouté que l’objectif général de la résolution était « louable » notamment pour demander la reconnaissance, « pour autant, je ne goûte guère à l’esprit de ce texte » qui n’a été possible qu’à cause du déshonneur de la diplomatie française. « Je ne vois que trop bien ce jeu hypocrite de ceux qui était avant au pouvoir », a-t-elle dénoncé, ne souscrivant pas à l’argumentation des LR, mais témoignant de sa solidarité la plus fraternelle avec le peuple arménien qui a eu « le courage de renverser l’autocratie il y a deux ans » : « Dans leur quête de justice, ils auront tout mon soutien. » Lors des explications de vote, elle a expliqué vouloir « défendre le droit, la justice, la paix et non une vision de choc des civilisations. » Elle a demandé à l’ONU de prendre également les choses en mains.

Puis Pierre Dharréville, du groupe de la gauche démocrate et républicaine qui avait proposé un texte différent demandant également la reconnaissance de l’Artsakh, a dressé le constat de l’échec dramatique de la France qui, désormais, « ne doit pas détourner les yeux ». « Nous voulons croire qu’une solution durable est possible, a-t-il espéré, C’était le sens du texte que j’avais déposé il y a quelques semaines. » Car, d’après lui, le texte proposé aujourd’hui présente les choses de façon « trompeuse » car il pointe un conflit d’ordre religieux, mettant dos à dos un axe du bien et un axe du mal. Or, a-t-il assuré : « Il s’agit d’un conflit politique, et une résolution politique sera la solution. » Malgré ces réticences, il a annoncé ne pas s’opposer au texte.

Jean-François Mbaye pour La République en Marche a rappelé que « les outrages sont réels et qu’il faut les dénoncer comme tels. » Mais, d’après lui, « la France doit poursuivre son engagement dans le cadre du groupe de Minsk, comme les autorités arméniennes en font la demande à la France. » En son nom personnel, il a confié qu’il soutiendrait cette résolution car « trop de sang a coulé », même si le groupe LREM a laissé la liberté à ses membres de voter comme ils le souhaitaient.

C’est Danièle Cazarian qui a pris la parole pour expliquer le vote du groupe, expliquant qu’en son nom personnel elle voterait pour : « C’est une question d’humanité. Au-delà des mots, les Arméniens ont besoin d’acte. »

Enfin, Nicolas Dupont-Aignan (non-inscrit) a dit que cette guerre posait trois questions fondamentales. Tout d’abord, la participation de la France au Groupe de Minsk : est-ce un atout, ou au contraire cela nous a-t-il empêché de prendre des positions plus fortes ? Ensuite, la question des Chrétiens d’Orient : « Oui, ils sont éliminés dans différents pays, et nous ne pouvons pas rester sans réagir. Que faisons-nous quand ils sont exterminés ? ». Et pour finir, il faut faire preuve de fermeté et demander clairement et acter le fait que la Turquie ne rentre pas dans l’Union européenne.

Une fois cette discussion générale close, la parole a été donnée au ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian : « Beaucoup dans cet hémicycle et en dehors ressente de l’indignation, et j’en fais partie. Beaucoup dénonce l’attitude de la Turquie, et j’en fais partie. » Car, d’après lui, elle a été dans une attitude de compétition et de connivence, au détriment de la sécurité de la région. « Elle a apporté un appui décisif, y compris par le déploiement de mercenaires », comme ce fut le cas en Libye, a-t-il dénoncé.

« J’entends votre colère, vos craintes, vos questions que vous posez. Pourtant, je ne partage pas l’objectif visé par cette résolution, c’est à dire la reconnaissance, a-t-il nuancé. Parce que nos amis arméniens ne nous demandent pas ça, eux-mêmes ne l’ont pas reconnu. Parce que la demande faite par mon homologue arménien, c’est celle de la sécurité et stabilité après l’accord. » Ajoutant : « J’entends la portée symbolique. Les symboles comptent, mais ce qui compte plus : c’est notre capacité à agir demain. » Or, d’après lui, signifiait la reconnaissance de l’Artsakh nous exclurait de facto de la médiation. Il a annoncé que « cet après-midi, une déclaration des trois coprésidents du Groupe de Minsk sera publié à l’occasion de la réunion de l’OSCE qui se tient en ce moment pour poser les bases de l’action commune. »

Dans son explication de vote, Brigitte Kuster pour les Républicains avait assuré, elle, que ce texte était attendu par les Arméniens : « Nous en avons été témoins sur place ». « Nous, les Républicains, pensons qu’il est urgent de reconnaitre la République d’Artsakh. Les Républicains sont au rendez-vous de l’histoire et de l’amitié qui unit les Arméniens et la France. C’est avec honneur et fierté que nous voterons pour cette résolution que nous proposons » : une résolution donc qui a su rassembler, au-delà des clivages politiques.