L’Echo - Jean-Paul Bombaerts -18 février 201920:04

On note une tendance à la hausse des actes antisémites en Belgique en 2018. Unia épingle le danger des discours de haine et des thèses complotistes. Joël Rubinfeld (LBCA) déplore l’inefficacité de la justice et la complaisance de certains politiques.

À l’image de ce que l’on observe en Europe, la Belgique n’est pas épargnée par le retour de l’antisémitisme.

En France, la prise à partie du philosophe Alain Finkielkraut par des "gilets jaunes" qui l’ont copieusement injurié pour sa judéité a provoqué une vague d’indignation. Cet incident s’ajoute à d’autres actes antijuifs récents: croix gammées barrant le visage de Simone Veil, arbre à la mémoire du jeune Ilan Halimi (assassiné parce que juif) scié. À la veille du dîner organisé chaque année par le Crif, l’organe représentatif des juifs de France, le gouvernement a fait part ce lundi d’une hausse de 74% des actes antisémites en 2018.

La police allemande a enregistrés 1.646 actes à caractère antisémite l’an dernier, soit 10% de plus que l’année précédente. L’Allemagne ne semble pas immunisée non plus. La police allemande a enregistrés 1.646 actes à caractère antisémite l’an dernier, soit 10% de plus que l’année précédente. Les actes violents ont augmenté d’environ deux tiers, passant de 37 à 62, avec 43 personnes physiquement agressées.

Qu’en est-il en Belgique? Unia, le centre pour l’égalité des chances, n’a pas encore terminé de compiler les chiffres pour 2018, mais une tendance semble d’ores et déjà se dessiner. "Par rapport à 2017, la tendance est à la hausse, c’est certain", souligne Lode Nolf, porte-parole d’Unia.

Le site "antisemitisme.be" récolte également les signalements antisémites. Pour 2018, on est à 81 cas, contre 35 seulement en 2017 et 109 en 2014. Ces chiffres appellent deux commentaires. Un: "le sous-raportage est énorme", indique Unia. Deux: les chiffres sont volatils. Ils fluctuent généralement avec l’intensité du conflit israélo-palestinien. Ainsi, les opérations "Plomb durci" en 2009 et "Pilier de défense" en 2014 de l’armée israélienne contre le Hamas avaient donné lieu à une flambée sans précédent du nombre d’incidents antisémites en Belgique.

Le tournant de l’an 2000

Ces douze dernières années, on est sur une moyenne de 64 signalements par an, toujours selon le site "antisemitisme.be".

L’an 2000 et le déclenchement de la seconde intifada dans les territoires palestiniens marque à cet égard un tournant fondamental. "Avant 2000, on pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre d’incidents antisémites en Belgique", se souvient Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA). En décembre dernier, l’Agence des droits fondamentaux (FRA) avait publié les résultats d’une vaste enquête auprès de 16.000 personnes juives en Europe. La Belgique n’en sortait pas à son avantage.

À l’exception des juifs de France, les juifs de Belgique sont ceux en Europe qui ressentent le plus d’hostilité à leur égard: 81% d’entre eux citent l’espace public comme source la plus courante d’hostilité, la moyenne européenne étant de 70%. Quant à la responsabilité de ces faits, Joël Rubinfeld ne manie pas la langue de bois: "Il faut garder une vigilance absolue par rapport à l’extrême droite, mais ce n’est pas elle qui tue aujourd’hui. Ce sont des personnes d’origine arabo-musulmane."

Rubinfeld s’insurge également contre le manque d’efficacité de la justice. "Trop souvent, les plaintes sont classées sans suite, alors que la Belgique dispose pourtant d’un arsenal législatif complet." Il cite l’exemple d’un café turc à Bruxelles qui, en 2014, affichait "Chiens bienvenus, interdit aux juifs". Une médiation a été proposée avec la LBCA, qui a refusé. L’affaire en est dès lors restée là. "À quoi cela sert-il d’avoir des lois si on ne les applique pas?" demande Rubinfeld. Il pointe en outre l’inaction coupable de certains partis politiques, "PS, Ecolo et PTB, qui font office, dans le meilleur des cas, d’idiots utiles".

Chez Unia, on s’inquiète également de la popularité dans certains milieux des thèses complotistes pointant les juifs, que ce soit au sujet des attentats du 11 septembre 2001 ou des attentats de Paris en 2015. "Les propos de haine comportent le risque de mener à des actes de haine", prévient Lode Nolf.

Exode silencieux

Certains juifs de Belgique envisagent de quitter le pays. L’Agence juive tient un recensement des départs pour Israël. "Avant l’an 2000, on dénombrait entre 5 et 80 départs par an. Depuis lors, nous sommes à 250 à 350 départs chaque année", s’inquiète Joël Rubinfeld. "Sans compter les départs pour d’autres pays, comme les Etats-Unis. C’est un exode silencieux. Et je crains fort que nous ne soyons la dernière génération en Europe occidentale avec une communauté juive significative." Jean-Paul Bombaerts, Journaliste Source: L'Echo