L’Orient-Le Jour - 24/10 - Matthieu Karam - Photo Mara De Sario/FIFF

Le 6 octobre, la Tramontane du réalisateur libanais Vatche Boulghourjian soufflait sur le Festival international du film francophone (FIFF) de Namur, en Belgique, et raflait le prix Découverte.

L'histoire de Rabih (titre du film en arabe, qui veut dire printemps), un jeune musicien non voyant qui tente, non sans difficultés, d'obtenir un visa pour chanter avec sa chorale en Europe, a séduit le jury.

«J'étais à Namur ce jour-là. Je ne m'attendais pas à recevoir cette distinction, cela m'a extrêmement touché», raconte Vatche Boulghourjian à L'Orient-Le Jour.

Quête existentielle
Dans cette fiction de 105 minutes, en dialecte libanais et sous-titrée en français, le réalisateur raconte comment Rabih, joué par Barakat Jabbour, découvre qu'il a été adopté et que ses papiers ne sont pas en règle. En quête d'identité, il part à la recherche de son oncle disparu, seul détenteur de la vérité.

«Une recherche bureaucratique se transforme en quête existentielle pour retrouver sa propre histoire (...).» Car le nom du jeune musicien atteint de cécité n'a même pas été enregistré à sa naissance dans les fichiers administratifs publics.
Commence alors un long périple à travers le Liban, pendant lequel Rabih se rend compte que son pays n'arrive pas à lui fournir de réponses. «Sa patrie n'est pas capable de raconter au jeune homme son passé, elle n'est même pas capable de se souvenir du sien», explique Vatche Boulghourjian. Car le Liban du jeune musicien a été meurtri par une guerre civile entre 1975 et 1990 et n'arrive toujours pas à s'en remettre complètement.

La tramontane, c'est un vent qui souffle sur la Méditerranée occidentale. En latin, le mot signifie «au-delà des monts». «C'est aussi l'autre, l'étranger, le barbare », ajoute le réalisateur. «C'est un terme très complexe, qui comporte plusieurs strates et renferme une histoire. Il reflète la complexité des personnages et du thème de mon film», précise-t-il.

Des questions, pas des assertions
Pour Vatche Boulghourjian, avoir été distingué par le FIFF de Namur prouve que son premier long-métrage, sur lequel il travaillait depuis 2012, a résonné auprès du public et du jury. Tramontane avait aussi été largement ovationné le 17 mai dernier, à Cannes, à l'issue de sa projection dans le cadre de la Semaine de la critique.

«Cette distinction honore en fait les brillants artistes et producteurs avec qui j'ai collaboré et qui n'ont jamais cessé de croire à mon projet (...)», tient-il à souligner. On y retrouve Julia Kassar, qui joue aux côtés de Barakat Jabbour (musicien et atteint de cécité dans la vraie vie), Michel Adabachi et Toufic Barakat. La bande-son du film, «qui joue un rôle extrêmement important dans l'œuvre», est signée par Cynthia Zaven, qui est par ailleurs l'épouse du réalisateur.

«Je veux soulever des questions, plutôt que de faire des assertions, explique Vatche Boulghourjian. Peut-on raconter, de manière lucide, notre propre passé? Comment l'expérience de toute une nation affecte tout un chacun, et comment chacun se souvient et décrit cette expérience? Quel est notre récit commun? La mémoire collective existe-t-elle, ou bien est-elle la somme de récits individuels?» Le cinéaste ne cherche pas à dicter à son public les réponses. «Chaque personne qui voit le film aura sa propre interprétation de l'histoire, comme c'est le cas pour chaque création artistique. Tout ce que je peux espérer, c'est que ce film puisse inspirer le dialogue.»

Vatche Boulghourjian, né au Koweït et ayant grandi au Liban avant de s'installer à Los Angeles, n'en est pas à sa première récompense. En 2010, son film de fin d'étude à la New York University (NYU), Cinquième colonne, a remporté le 3e prix à Cannes dans le cadre de la Cinéfondation.

Pour le jeune homme, le prix Découverte du FIFF de Namur est, en sus d'une preuve supplémentaire de la qualité de son travail, «un encouragement afin de continuer à faire des films qui explorent l'humanité à travers les histoires de tous les jours». «Avec ce prix, et comme avec toute récompense, je me sens responsable de produire des films qui transcendent les barrières culturelles, politiques et géographiques (...)», dit-il.

Quand les cinéphiles du Liban pourront-ils visionner Tramontane? «Mes producteurs et moi sommes actuellement en discussion avec MC Distribution autour de la sortie en salle du film. Il n'y a pas encore de date fixée, mais une fois un accord obtenu, nous l'annoncerons au public, explique Vatche Boulghourjian. Je suis très enthousiaste à l'idée de partager le film avec le public libanais!»