France 24 - 26/10 - Texte par Sébastian Seibt

"The Promise" un film américain sur le génocide des Arméniens, qui n’est même pas encore sorti, fait déjà l'objet d’une campagne de dénigrement notamment sur Internet.
Le film américain “The Promise” n’est pas encore sorti en salle et n’a même pas encore de distributeur, mais il cumulait pourtant lundi 24 octobre près de 90 000 avis, dont la majorité négatifs, sur le site de référence cinématographique IMDB. Un record pour une œuvre qui n’a été montrée, jusqu’à présent, que trois fois lors de festivals. Même "Jurassic World", le film le plus rentable de 2015, n’a généré que 1 300 avis sur IMDB.

“Au lendemain de la première projection du film [au festival du film international de Toronto, en septembre 2016], il y avait déjà récolté 70 000 avis négatifs sur IMDB”, rappelle Mike Medavoy, coproducteur de “The Promise” au magazine américain Variety. Ce déluge de critiques visiblement fantaisistes a finalement eu raison de la patience de l’équipe du site, mardi 25 octobre, qui a fait un grand ménage pour ne garder qu’une vingtaine d’avis.

“Mensonges historiques éhontés”

“The Promise” aborde la question du génocide des Arméniens de 1915 à travers une histoire d’amour entre les personnages joués par Christian Bale, Oscar Isaac et la Française Charlotte Le Bon. Un sujet sensible s’il en est en Turquie. Ankara conteste depuis toujours le terme de génocide et déchaîne sa colère contre quiconque conteste la version officielle, selon laquelle il y a eu des massacres qui ont fait des victimes turques et arméniennes.

Le film du réalisateur irlandais Terry George, à qui l’on doit aussi “Hôtel Rwanda”, s’est ainsi retrouvé dans le collimateur d’une armée d’internautes qui soutiennent les autorités turques. Le ton des commentaires, que France 24 a pu consulter avant leur disparition, ne laisse guère planer le doute. Il n’est pas question de qualités cinématographiques mais, entre autres, de “mensonges historiques éhontés” et d’un long-métrage “financé par l’argent arménien pour nuire à la Turquie”.

L’œuvre est clairement militante. Elle résulte de la volonté de feu l’homme d’affaires d’origine arménienne Kirk Kerkorian, un ancien propriétaire du studio de la Metro-Goldwyn-Mayer, qui voulait porter à l’écran le génocide des Arméniens à la manière d’une grande fresque historique. Il a intégralement financé “The Promise” qui, avec un budget de plus 100 millions de dollars, est l’un des films indépendants les plus chers de l’histoire d’Hollywood.

Des “Quarante jours de Musa Dagh” à Atom Egoyan

Mais l’argent ne fait pas tout. L’œuvre n’a toujours pas de distributeur, malgré des premières critiques positives de la presse. Là encore, l’ombre d’Ankara plane au-dessus de l’avenir de “The Promise”. “Je dirais simplement que certains studios ont des intérêts en Turquie”, s’est borné à déclarer Eric Esrailian, un autre coproducteur du film, à Variety.

Ce n’est pas la première fois qu’Hollywood peine à sortir un film sur le génocide des Arméniens. Dans les années 1970, la MGM avait accepté de produire une adaptation du roman de Franz Werfel “Les quarante jours du Musa Dagh”, qui traite de cette question, avec Clark Gable dans le rôle principal. Mais le studio avait finalement renoncé, après avoir subi des pressions diplomatiques turques relayées par le Département d’État américain. Les droits du film ont été revendus et une version à petit budget, toujours disponible sur Youtube, a pu voir le jour en 1980.

Le réalisateur multi-décoré d’origine arménienne Atom Egoyan croyait avoir trouvé la solution, en 2002, avec le film "Ararat", qui met en scène un réalisateur cherchant en vain à faire un film sur le génocide des Arméniens. Erreur : le studio Miramax, qui avait endossé la responsabilité de distribuer "Ararat", avait reçu tellement de plaintes via Internet que son site avait dû être temporairement fermé.