Le Figaro. Par Geoffroy Caillet. 11 avril 2016

SORTIE DVD - Une Histoire de fou de Robert Guédiguian est disponible en DVD et Blu-ray depuis le 6 avril.

Un film puissant et passionné sur le génocide arménien et ses innombrables conséquences humaines.

Rarement le cinéma a si bien éclairé un pan de l'histoire contemporaine qu'avec cette Histoire de fou racontée par Robert Guédiguian, déjà auteur d'un premier film sur sa patrie d'origine, Le Voyage en Arménie.

Il faut s'en réjouir, car le génocide arménien est de ceux dont tout le monde a entendu parler, mais que personne ne connaît. Une histoire de fou commence en 1921, lorsque l'activiste arménien Soghomon Tehlirian (Robinson Stévenin) abat à Berlin le Turc Talaat Pacha, ancien ministre de l'Intérieur de l'Empire ottoman, grand ordonnateur du génocide qui fit 1,2 million de victimes arméniennes, éliminées par les armes, déportées ou affamées entre 1915 et 1918. Au terme d'un procès retentissant, marqué par la nécessité pour l'Allemagne de faire oublier sa complicité avec l'Empire ottoman, Tehlirian est acquitté sous les hourras des Arméniens.

Après ce premier quart d'heure filmé en noir et blanc, le film déroule une autre histoire. Au début des années 1980 à Marseille, Aram (Syrus Shahidi), fils d'un couple d'origine arménienne (Simon Abkarian et Ariane Ascaride), décide de passer à la lutte armée aux côtés de l'Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie (Asala), d'inspiration marxiste-léniniste, pour obtenir de la Turquie la reconnaissance du génocide. Mais lorsque la bombe qu'il actionne à Paris contre l'ambassadeur turc explose, elle fait une autre victime: Gilles (Grégoire Leprince-Ringuet), un étudiant en médecine, qui se retrouve très gravement blessé aux jambes. Alors qu'Aram a rejoint un camp d'entraînement à Beyrouth, Gilles part à sa recherche et, avec l'aide des parents du guérillero, découvre une histoire dont il ignorait tout.

 

Qu'elles soient morales ou physiques, les plaies de tous sont béantes, et le chœur d'écorchés vifs formé par les personnages atteint ici une rare intensité.  

 

Derrière une caméra malhabile et des intentions revanchardes, la mise en scène préliminaire du procès de Tehlirian pourrait relever de la pesante caution historique, destinée à magnifier l'engagement du jeune Aram. On en est loin. L'incipit d'Une histoire de fou, qui pose magistralement la réalité de faits parfaitement établis, joue le rôle du prologue de la tragédie: celle, encore fraîche, du génocide, autant que celle, à venir, de l'emballement meurtrier d'Aram. Entre les deux, le film n'établit ni stricte connexion, ni tentante justification. La peinture bouleversante des conflits qui minent cette famille, écartelée entre la résignation du père, la révolte du fils, l'amour de la mère et la douleur d'une grand-mère pleurant sa patrie perdue, a pour correspondant exact celle de la vie brisée de Gilles, étranger à l'histoire arménienne et pourtant dramatiquement happé par elle. Qu'elles soient morales ou physiques, les plaies de tous sont béantes, et le chœur d'écorchés vifs formé par les personnages atteint ici une rare intensité.

 

L'Histoire de fou dont il est question est autant celle du génocide arménien et de l'impunité qui s'ensuivit que de la souffrance multiforme engendrée par l'addition des deux.

 

«Nous les Arméniens serons les nouveaux Palestiniens», proclament les militants de l'Asala. Rejoindre les proscrits de la terre? La tentation est grande. Mais lorsque Aram fera volte-face, il sera trop tard. Là se dévoile le sens du film: l'Histoire de fou dont il y est question est autant celle du génocide arménien et de l'impunité qui s'ensuivit que de la souffrance multiforme engendrée par l'addition des deux. Car Robert Guédiguian ne se contente pas de montrer l'impasse de la vengeance armée, telle que l'Asala la pratiqua au début des années 1980. Il dénonce aussi celle qui consiste à attiser les blessures du passé. «Le génocide a fait de nous des fous. Nous n'existons que grâce à lui», dit l'un des personnages en ajoutant: «On ne peut pas vivre indéfiniment la rage au cœur.» A moins de renoncer à vivre, comme la jeune pasionaria dont Aram est tombé amoureux et qui lui fait cet aveu tragique: «Moi, ça fait longtemps que je suis morte.» Le passé et ses douleurs sont un poison lent. Pour en guérir, il faut impérieusement choisir la vie. Poignant.

Une histoire de fou, de Robert Guédiguian, avec Simon Abkarian, Ariane Ascaride, Grégoire Leprince-Ringuet, Syrus Shahidi, Razane Jammal. Diaphana Edition Vidéo, DVD: 19,99€ , Blu-ray: 24,99€.