par Claude Demelenne, journaliste.

L’affaire Nemmouche le rappelle : l’antisémitisme se porte bien dans nos contrées. Mais pourquoi donc la lutte contre ce fléau passe-t-elle parfois au second plan pour une fraction de la gauche ? Une opinion de Claude Demelenne, journaliste, auteur du livre "Lettre aux progressistes qui flirtent avec l'islam réac".

Au lendemain de l’arrestation de Mehdi Nemmouche, l’auteur de la tuerie au Musée juif de Bruxelles, le philosophe de gauche Michel Onfray a osé ce commentaire : "A quand la grande manifestation des musulmans pour se désolidariser de cet islam-là ?". A l’instar de l’anthropologue franco-algérienne Dounia Bouziane, qui tient à peu près le même discours, Onfray, qui n’a pas sa langue en poche, parle d’or. Il met le doigt sur l’un des problèmes majeurs du moment : la réaction tiède d’une partie des élus et de l’intelligentsia de culture musulmane face aux ravages de l’antisémitisme. Non pas que, dans ces milieux, on témoigne de la moindre sympathie pour les fous d’Allah. Simplement, on vit dans la peur des intégristes, toujours prêts à stigmatiser les "mauvais musulmans".

En matière de sous-estimation du danger antisémite, une certaine gauche n’est pas en reste. Il est de bon ton, dans ces milieux bien-pensants, de braquer les projecteurs sur le racisme anti-musulman. Celui-ci est odieux et doit être combattu avec force. Mais pas au prix d’une banalisation du racisme antijuif, ce qui est parfois le cas. Il n’est pas bien vu, lorsqu’on se réclame de la gauche - ce qui est mon cas - de rappeler, par exemple, le résultat de plusieurs études très sérieuses, montrant la montée de l’antisémitisme dans une fraction non négligeable de la population bruxelloise. Ainsi, selon une étude récente intitulée "Jong in Brussel", coordonnée par des chercheurs des universités de Gand, Louvain et de la VUB, la moitié des élèves bruxellois de confession musulmane seraient antisémites.

Sans lui donner une valeur absolue, cette étude révèle une tendance peu contestable : dans certains quartiers bruxellois, l’antisémitisme est une valeur qui a le vent en poupe. Comment s’en étonner lorsqu’on sait que, là où la population scolaire est composée majoritairement de jeunes d’origine arabo-musulmane, il est de plus en plus difficile d’enseigner la Shoah ou d’expliquer sereinement le conflit israélo-palestinien ? Dans le même esprit, pour un Juif, se promener avec une kippa sur la tête, dans certains quartiers et marchés, est une activité à hauts risques.

Mehdi Nemmouche s’est radicalisé au sein de l’univers carcéral. La radicalisation islamiste dans les prisons, tant belges que françaises, se traduit parfois par l’instauration d’une sorte de dictature religieuse, quand certains caïds intégristes imposent à tous les détenus, musulmans ou pas, de cesser toutes leurs activités au moment des prières. Dans ce climat délétère, on n’ose imaginer le sort peu enviable réservé aux détenus laïcs ou, pire, de confession juive : mis à l’index, stigmatisés, priés de se soumettre aux soi-disant diktats d’Allah et d’un Coran interprété de manière ultra-rigoriste.

Bruxelles détient un triste record : elle est la ville, en Europe, où les antisionistes radicaux ont la base la plus solide. Ils excellent dans la diabolisation d’Israël, présenté comme un Etat voyou, qu’ils considèrent comme l’un des plus abjects sur la planète, tellement haïssable qu’il conviendrait de le rayer de la carte. L’antisionisme radical dispose de relais dans beaucoup de milieux politiques, associatifs et intellectuels. Comment certains jeunes bruxellois d’origine arabo-musulmane ne cultiveraient-ils pas des réflexes antisémites, lorsqu’ils observent la complaisance d’une partie de l’intelligentsia de gauche envers les adversaires les plus extrémistes d’Israël ?

Rappelons que plusieurs intellectuels bruxellois, sociologues, professeurs d’Université, figures connues du monde associatif, ont signé une pétition demandant le retrait du Hamas - le Vlaams Belang palestinien, haineux et raciste - de la liste européenne des organisations terroristes. C’est notamment le cas d’un proche de Philippe Moureaux, le député socialiste Jamal Ikazban, longtemps présenté comme un futur bourgmestre potentiel de Molenbeek.

Certains militants à œillères de la cause palestinienne - que je considère évidemment comme une juste cause - ne sont pas antisémites mais peuvent être considérés, selon la formule du diplomate-écrivain français Jean-Christophe Rufin, comme des "facilitateurs de la nouvelle judéophobie" : leur silence ou leurs condamnations du bout des lèvres, quand des actes flirtant avec l’antisémitisme au quotidien se produisent, vaut approbation, dans l’esprit de leurs auteurs.

Une série d’associations, comme Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX), sont devenues, selon l’expression de la journaliste Caroline Fourest, de véritables "chiens de garde" au service de la religion musulmane dans sa version rigoriste, et même parfois de l’intégrisme. Ces organisations se focalisent sur la lutte indispensable contre le racisme anti-musulman et l’extrême droite traditionnelle, mais sous-estiment l’importance du racisme antijuif et de l’extrême droite musulmane, vêtue de faux habits progressistes.

Une partie de la gauche joue avec des allumettes en minimisant une dérive inquiétante qui transforme petit à petit Bruxelles en capitale européenne de l’antisémitisme. Cette gauche-là utilise à toutes les sauces le concept fumeux d’"islamophobie", qui sert à disqualifier ceux qui pensent qu’un certain islam, totalitaire, guerrier, misogyne, réac, pose problème et est incompatible avec les valeurs humanistes.

Quand le racisme antijuif prospère dans certaines couches de la population, il est temps de tirer le signal d’alarme. Il est temps pour toute la gauche d’appeler un chat, un chat. Et un militant de l’islam réac, un fasciste, même s’il prétend défendre la cause palestinienne et celle de tous les musulmans opprimés - souvent par d’autres musulmans - de la terre.

3 juin 2014

LaLibre.be