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Le 19 février 2010

 

 

Madame, Monsieur, 

Concerne : Haut-Karabagh                                                      Lettre ouverte

 Il revient à notre Comité, organe de la communauté arménienne de Belgique, que, le 10 janvier 2010, vous avez diffusé, dans le cadre d’une émission « Reporters », une séquence consacrée au conflit du Haut-Karabagh. Depuis le 1er février dernier, la vidéo de celle-ci est visible sur votre site web sous le titre « Conflit du Haut-Karabagh : voyage chez les déplacés azerbaidjanais ».  

Ce reportage tourné du côté azerbaidjanais reflète le seul point de vue de ce pays au sujet d’un conflit ancien, complexe et dont la dimension dépasse en tous cas largement le cadre bilatéral.  

Nous comprenons que le point de vue de la partie azerbaidjanaise puisse être exposé, dès lors que celui des Arméniens du Karabagh l’a été un mois auparavant (« Le Haut-Karabagh: une lutte pour la paix” de Michael Reichmann),  mais nous nous étonnons vivement de la faveur étrange dont jouit sur vos antennes le pouvoir en place à Bakou. Ses thèses sont relayées à l’envi sans les nécessaires réserves qu’appelle de votre part une élémentaire objectivité.  Nous nous étonnons également de ce que, depuis l’émission du 10 janvier, dans le même souci d’objectivité, vous n’ayez pas donné la parole à l’autre partie.  Sans cet autre éclairage, vos auditeurs ne peuvent pas comprendre les données de base de ce conflit.  

Le spectacle appuyé d’une détresse bien compréhensible des victimes azéries ne peut qu’inspirer des sentiments de vengeance auprès d’auditeurs ignorant des données du conflit et exciter le racisme anti-arménien déjà bien présent, non seulement en Azerbaïdjan mais également en Turquie et au sein des communautés turcophones d’Europe, où, comme vous le savez, ce genre d’image a déjà provoqué des violences.  

Notre préoccupation est renforcée par le fait que l’information disponible au sujet de l’Arménie, sur votre site web, reflète elle aussi le point de vue turco-azéri.  Ainsi, à la date du 2 février dernier, une longue interview du président Aliyev est intégralement retranscrite, alors qu’on cherche, en vain, le point de vue arménien.    

A cet égard, comment se peut-il que le seul document figurant sur la page «Arménie» de votre site, évoquant le « passé sanglant » des Arméniens de Turquie, présente le génocide non pas comme un fait, mais comme une prétention de la République d’Arménie.   

Il est regrettable qu’un grand média européen, comme le vôtre, donne ainsi la désagréable impression de s’aligner sur la doctrine négationniste d’Ankara, au moment où l’Union européenne invite ses Etats membres à renforcer leur législation pénale antiraciste et anti-négationniste.  

N’est-il pas curieux que vous décriviez systématiquement le conflit du Haut-Karabagh comme une guerre opposant l’Azerbaïdjan à l’Arménie, comme si la République du Haut-Karabagh n’existait pas ?  Même non reconnue internationalement, ne possède-t-elle pas un gouvernement qui administre la région et porte légitimement l’aspiration de la population à l’auto-détermination ? 

Vous vous gardez bien, nous le déplorons, de reconnaître comme un fait le génocide des Arméniens de 1915, mais y faites à tout le moins allusion comme étant la thèse de l’Arménie. Pourquoi ne pas ne pas adopter la même attitude à l’égard de Haut-Karabagh, à savoir ne pas le reconnaître comme un Etat, mais au moins évoquer son existence de facto 

Le conflit du Haut-Karabagh n’est pas un conflit ordinaire. Il ne peut se comprendre sans le rappel du génocide des Arméniens, qui raya l’Arménie de la carte en 1915. La Turquie et l’Azerbaidjan ne veulent pas reconnaître le génocide de 1915 parce que ces deux Etats n’y ont pas renoncé. La jonction de leurs territoires demeure l’objectif sacré. C’est pourquoi, dès la chute de l’URSS, avec l’aide de la Turquie, l’Azerbaïdjan s’est rué sur le Haut-Karabagh et les pogroms anti-arméniens ont repris à Bakou, Soumgaït et ailleurs. Malgré leur infériorité, les Arméniens du Haut-Karabagh ont résisté. Auraient-ils eu tort ? 

Le fanatisme nationaliste turco-azéri est un gaz hautement inflammable. Convient-il que la télévision y jette son allumette ?   

Nous osons espérer que, compte tenu de ce qui précède, vous voudrez bien diffuser sans tarder les informations propres à compléter la bonne information de votre public et à lui offrir sur ce sujet un service d’une qualité journalistique équivalente à celle dont vous faites preuve en général. Cet effort apaisera les craintes non seulement des citoyens de la République d’Arménie et de ceux du Haut-Karabagh, mais également des Arméniens trois fois plus nombreux qui vivent en diaspora et, notamment, en Europe. 

En vous remerciant déjà de la bonne suite qu’il vous plaira de réserver à la présente, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.  

 

Le président,

Michel Mahmourian.