LaLibre.be - F. C. et Ch. Ly. - vendredi 19 juin 2015

Charles Michel (MR) a pris tout le monde de court à la Chambre : jeudi, il a reconnu, au nom de son gouvernement, le génocide arménien perpétré il y a un siècle par le gouvernement Jeune Turc, dernière autorité de l’Empire ottoman.

Cette déclaration du Premier ministre a une portée politique très importante puisqu’elle intervient très officiellement dans l’enceinte du Parlement. "C’est un moment historique", affirme même Denis Ducarme, le chef de groupe MR à la Chambre des représentants.

Malgré cette déclaration solennelle du Premier ministre, la majorité fédérale va tout de même déposer devant l’assemblée une proposition de résolution visant à acter dans les textes cette reconnaissance. Autrement dit, les députés qui, à la Chambre, auraient encore des scrupules à reconnaître le génocide arménien n’échapperont pas à cet exercice : il faudra bien voter - ou non - ce texte et l’opinion publique pourra dès lors voir qui de ses parlementaires est "négationniste". Bien entendu, le jour où la résolution passera au Parlement fédéral, tous les regards se tourneront vers le député PS et bourgmestre de Saint-Josse d’origine turque Emir Kir qui esquive le débat depuis plusieurs semaines.

Le PS attend

Si le CDH soutient clairement l’initiative du Premier ministre, le PS est un peu plus réservé : "Mardi, le PS, le SP.A, le CDH et Ecolo-Groen ont cosigné un amendement demandant au gouvernement de reconnaître le génocide arménien. Le PS prend acte de cette clarification du gouvernement et attend le contenu de la résolution que prépare la majorité", explique la porte-parole du Parti socialiste.

Pourquoi Charles Michel a-t-il devancé de la sorte le vote de la résolution à laquelle tout le monde s’attendait ? D’abord, parce ce que c’est sa stratégie médiatique de choisir son moment pour surprendre l’opinion par une déclaration forte. Le Premier ministre avait déjà joué ce coup lors de son passage sur les antennes de la RTBF dernièrement : il avait reconnu qu’il s’était trompé à l’égard de la N-VA durant la campagne électorale.

Voilà donc qu’il reprend l’initiative sur le très sensible dossier arménien en coupant les ailes à une opposition qui l’attendait de pied ferme jeudi sur la question du futur "tax shift" fédéral.

Par ailleurs, le MR voulait battre le fer tant qu’il était chaud : la reconnaissance du génocide arménien a provoqué des polémiques qui ont pu embarrasser le PS et le CDH et les libéraux ont voulu enfoncer le clou en réglant une fois pour toutes la question.

Réactions diplomatiques

Comment va réagir Ankara à cette nouvelle déclaration ? A chaque fois, la Turquie rappelle son ambassadeur. En 2015, elle l’a déjà fait au Luxembourg, en Autriche, au Brésil et au Vatican. "I l n’est toujours pas revenu", indique le ministère luxembourgeois des Affaires étrangères. L’ambassadeur turc avait été rappelé le 7 mai "pour des consultations" après que le Parlement grand-ducal eut adopté une résolution reconnaissant le génocide arménien.

Les diplomates belges se sont préparés à un mouvement d’humeur turc. Ils ont eu préalablement des contacts à haut niveau à Ankara, pour expliquer la position belge et le projet de résolution en cours. Selon nos sources, ce dernier sera plus une déclaration solennelle qu’une extension au génocide arménien de la loi contre la négation de la Shoah, un texte rejeté dans les années 90 par le PS et le CDH. "Ce qui aide la Turquie, c’est qu’on parle aussi de la souffrance des autres populations", assure une source.