RTBF – Matin Première - 16/04 2015

Dans une résolution adoptée mercredi au Parlement européen, l'Union demande à la Turquie de reconnaître le génocide arménien. Mais elle refuse toujours d'admettre que ces massacres étaient planifiés par le pouvoir dès 1915. Invité de Matin Première ce jeudi, le député européen Jean-Marie Cavada a soutenu cette résolution, mais le problème vient selon lui de la position du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui refuse "l'émanation de la vérité".

Jean-Marie Cavada, député européen au sein du groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l'Europe (ADLE)

 

 

Le Parlement européen appelle la Turquie à reconnaître le 'génocide arménien'
Si le Parlement européen a déjà lui-même reconnu le génocide arménien dès 1987, l'Europe est tout de même divisée sur la question et la Commission européenne n'a pas non plus officiellement reconnu le terme de génocide, ce que déplore Jean-Marie Cavada, député européen au sein du groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l'Europe (ADLE).
Mais c'est avant tout l'attitude du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui est pour lui un obstacle à cette reconnaissance.
"Il ne s'agit pas d'attaquer la Turquie, assure-t-il. M. Erdogan n'était pas né, ce n'est pas lui qui qui a envoyé les troupes et organisé les massacres des Arméniens et le génocide systématique, c'est-à-dire un crime d'État – c'est la définition du génocide. En revanche, c'est bien lui qui aujourd'hui refuse de reconnaître la mémoire de ce génocide, même s'il a commencé à exprimer, avec son Premier ministre, des condoléances. Mais il ne s'agit pas de ça, il ne s'agit pas d'émotion, il s'agit de faire rentrer la vérité dans la Turquie d'aujourd'hui."
"Or on voit bien que cet homme ne contribue pas à la paix, ni à l'émanation de la vérité, qui est absolument nécessaire pour construire l'avenir; on ne peut pas avoir d'avenir sans connaître son passé. Il est d'ailleurs est d'une arrogance absolument insoutenable; il a dit hier que le Parlement européen pouvait voter ce qu'il veut, ça entre par une oreille, ça sort par l'autre."

Une Europe, plusieurs discours
Et si le discours européen n'est pas entendu, c'est peut-être aussi parce qu'il y a des différences de positions entre les États membres. L'Europe ne parle pas d'une seule et même voix : l'Allemagne et le Royaume-Uni notamment sont beaucoup plus prudents que le sont la Belgique ou la France qui ont reconnu le génocide des Arméniens.
"Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, je ne suis pas tout à fait surpris, parce qu'elle n'a pas une attitude politique cohérente avec les principales valeurs de l'Union. C'est une île, elle vit retranchée dans ses propres souvenirs et sa propre géopolitique, affirme sans détour le Français. Quant à l'Allemagne, cela s'explique hélas très bien, car l'Allemagne a été complice : il y avait des conseillers militaires allemands aux côtés de l'armée turque dans ce génocide. Par conséquent, elle a peur, elle aussi, de faire resurgir le passé."
Pourtant, dit-il, l'Allemagne avait autrefois été un "exemple" en la matière. En octobre 1970, Willy Brandt, alors chancelier ouest-allemand, "est allé s'agenouiller à Varsovie". Il n'est pas allé "exprimer ses condoléances, ou faire un discours" : il est allé "s'agenouiller devant le monument dédié aux victimes juives de la Seconde guerre mondiale et demander pardon aux Juifs et à la face du monde. Ça, c'était un très beau et très grand geste" et c'est aujourd'hui le travail de mémoire que Jean-Marie Cavada attend de la Turquie.

La Commission européenne "ne fait pas son métier"
"Quant à la Commission européenne, elle ne fait pas son métier. Tout simplement. Elle est partagée, tiraillée. Et Mme Georgieva (vice-présidente de la Commission européenne et chargée de la Coopération internationale, l'Aide humanitaire et la Réaction aux crises, ndlr) n'a pas trouvé le temps, le moyen, de dire le mot 'génocide'. (…) Enfin, tout de même… L'histoire, elle a son poids, la vérité des faits existe. Sortons des palinodies et avançons pour la réconciliation des peuples."
L'Europe évite ainsi de froisser la Turquie, qui, dans la région, est un allié stratégique des Occidentaux à l'heure où la Syrie et l'Irak se déchirent. Une position "tout à fait insupportable" pour le député européen. "M. Erdogan" n'est selon lui pas un allié de l'Europe, en témoigne sa gestion des frontières turques, "bloquées aux chrétiens d'Orient et aux Kurdes". Recep Tayyip Erdogan "ne voit que son intérêt de tsar de l'Anatolie, voilà exactement comment je perçois l'action de cet homme".
"Et la brouille, elle a déjà lieu : quand le dialogue entre la Turquie et l'Europe s'est ensablé, il a montré qu'il était l'homme qui était le pivot de cette région et qu'il menait sa propre politique. Il a de plus en plus islamisé la société turque à marche forcée, y compris à construire des mosquées dans les campus des universités. Cet homme n'est pas dans l'Europe du tout, malgré l'aspiration d'une partie de la société turque."

T. Mignon