Libération.fr - Par Jacky Durand - 14/10  

Roulez des boulettes en compagnie de Corinne et Richard Zarzavatdjian qui publient un savoureux livre de cuisine arménienne. On est tous un cuisinier de quelque part.

Un bout de mémoire accroché à une recette, à un ingrédient qui revient comme le ressac du temps quand on se met aux fourneaux, qu’on flâne sur le marché du samedi matin ou que l’on maraude dans un verger en friches.

Des voix, des visages, des lieux nous parviennent alors quand le beurre murmure dans la poêle appelant la hampe de bœuf ; quand l’ail se déploie dans l’huile d’olive ; quand la pâte à brioche se lève comme une paire de seins tièdes et lourds.

Chiendent

On ne dira jamais assez que le boire et le manger sont des racines vivaces comme le chiendent, des graines fécondes et voyageuses comme celle de la mauve courant parmi les villes et les campagnes. La bouffe mondialisée dit tout cela comme une voie lactée de goûts où chacun retrouve les siens tout en découvrant d’autres. A tous les fâcheux qui pensent racines = terroirs = replis sur soi, on oppose justement le grand festin d’échanges, d’ouverture et de tolérance que sont nos histoires culinaires, tout à la fois intimes, collectives et culturelles. Cuisiner, manger, boire sont l’humus et les fruits de la transmission.

Cultivateurs

Pour toutes ces raisons, on a ressenti une grosse bouffée de tendresse quand on a reçu Cuisine d’Arménie, de Corinne et Richard Zarzavatdjian (1). Elle est comédienne, il est journaliste et, surtout, ils sont frères et sœurs. «Zarzavatdjian… Un nom dérivé d’un terme évoquant "ce qui provient de la terre", rappelant la profession de nos ancêtres, cultivateurs, primeurs, légumiers, comme on disait au pays», écrivent-ils à l’orée de ce livre qu’ils ont concocté en se replongeant dans les carnets de recettes de leur mère et en se remémorant les repas de fêtes de leur enfance.

«Chacun d’entre nous avait son plat de prédilection qui venait souvent récompenser de bonnes notes à l’école ou un comportement exemplaire à la maison. Et lorsque l’on remplissait les deux qualités, on avait droit "au roi des mangés", comme disait notre grand-père Garabed, ancien mineur à Gardanne à son arrivée en France, devenu chef d’entreprise dans le Sentier parisien. Pour notre grand frère Raffi, c’était le gatnabour, un dessert de riz au lait qu’il affectionne aujourd’hui encore.»

Epices

Toutes les histoires de migration embarquent des recettes, des plats mémoriels plus ou moins reproduits, adaptés à leur nouvel horizon avec souvent des ingrédients incontournables que l’on cultive même au jardin ou dans le verger. Ainsi, l’aubergine, l’agneau, les fruits (coing, grenade, raisin…) et les épices font partie du bréviaire culinaire arménien que l’on retrouve à Marseille, à Décines mais aussi aux Etats-Unis, en Australie, en Argentine…

Corinne et Richard Zarzavatdjian racontent le sumac que leur tante récoltait dans son potager à Luynes (Indre-et-Loire). Cette épice provenant d’un arbuste méditerranéen «apporte une saveur acidulée et fruitée aux farces, aux salades, aux viandes et poissons et remplace aisément le citron, parfois le vinaigre, en ajoutant une note originale». C’est tout le formidable pouvoir de suggestion de la cuisine qui revient dans ce livre pour dire qu’un peuple, une identité, une culture – en l’occurrence arméniens – peuvent survivre à toutes les barbaries, les pogroms, les nettoyages ethniques, en fricassant et en mangeant.

Keuftés

On a choisi la recette des boulettes d’agneau (keuftés) pour évoquer la cuisine d’Arménie. Il vous faut 500 g de viande de mouton ou d’agneau hachée ; 1 œuf ; 1 gousse d’ail (facultatif) ; une biscotte trempée dans l’eau ; un oignon émincé ; du beurre ou de l’huile d’arachide ; un demi-bouquet de persil haché ; de la farine pour rouler les boulettes.

Préparez les boulettes. Mélangez bien tous les ingrédients. Puis formez des boulettes de la taille d’une mandarine et aplatissez-les légèrement. Farinez de tous les côtés. Mettez-les à rissoler dans une poêle avec un peu de beurre ou d’huile, selon votre choix, d’abord à feu vif pendant cinq minutes, puis réduisez le feu et laissez cuire encore cinq bonnes minutes. Servez aussitôt, avec du riz nature ou une salade verte.

Sauce tomate

Vous pouvez servir ces keuftés accompagnés de sauce tomate. Pour cela, il vous faut deux, trois tomates bien mûres ; une cuillère à café de concentré de tomates ; du sel et du poivre. Lavez, pelez, épépinez, puis coupez les tomates en morceaux. Placez-les dans la même poêle que vous avez utilisée pour le keuftés avec un peu de beurre et le concentré de tomates dilué dans un peu d’eau. Laissez mijoter cinq à dix minutes. Salez et poivrez. Déposez les keuftés dans cette sauce et faites-les réchauffer. Servez aussitôt avec, par exemple, des pâtes fraîches.

(1) Cuisine d’Arménie de Corinne et Richard Zarzavatdjian. Préface d’André Manoukian (Solar éditions, 2017, 28 euros). Jacky Durand